samedi 23 avril 2011

Du tombeau au verre, Nuits bleues, calmes bières

Nature morte au verre de bière, peinture de Pieter Claesz

"Il aimait ces airs sans importance, lorsque machin-machine active les saisons, en avant en arrière, en arrière en avant, fleurs feuilles, feuilles fleurs. Fleuilles. Feurs. De chemisettes à carreaux en manteaux épais, de sous-vêtements perce-neige en culottes nerce-peige: tous ces corps jamais effleurés, quel charnier. Cet Auschwitz des corps manqués. De trop aimer, on n'aime plus. Alors on tire sur soi le couvercle de son cercueil, comme le dormeur sa couverture, lorsqu'il fait froid. Et l'on commande un autre demi. On se gave de propos imbéciles, de trahisons dérisoires. S'il vous plaît, monsieur."

Paru en mai 1978 dans la revue Subjectif, Nuits bleues, calmes bières est un texte court de Jean-Pierre Martinet, que les éditions Finitude nous donnent la chance de redécouvrir plus de trente après.

Ne nous méprenons cependant pas sur la teneur de l'oeuvre. C'est noir, infiniment, sans demi-mesure, bien que le personnage principal, une sorte de vagabond titubant, soit un macchabée qui revient d'entre les morts. C'est tambours battant que le récit débute tandis qu'un aveugle saoul le confond avec Marilyn Monroe. Si notre revenant est emporté dans le tourbillon de ses virées parisiennes, le quartier sordide qu'il embrasse, avec ses buffets de gare mal famés, et ses ruelles sordides, est loin d'être un long fleuve tranquille. En étant passé de vie à trépas, il n'a pas perdu l'acuité de ses sensations, porté qu'il est par une vitalité confondante. Chez Martinet, la frontière entre la vie et la mort est particulièrement légère, puisque l'on est, à chaque instant, amené à basculer de l'une à l'autre, à bousculer les barrières sans tambour ni trompette. Pas étonnant dans ces conditions que le trépassé veuille s'assurer de son propre décès en passant un coup de fil à son domicile, on ne sait jamais. Pas surprenant non plus de croiser le fantôme de Henri Calet, dont le valeureux Martinet contribua à la rédécouverte dans les années 80. Les objets eux-mêmes sont parfois plus promptes à réagir que les êtres humains. Rappelez-vous cette fourrure qui a défiguré à jamais la mère de Marilyn, voyez comme la moquette ronronne de plaisir dès lors qu'on la caresse, ou cette pantoufle solitaire qui n'a jamais digéré la disparition de sa soeur jumelle. Et la bière, cette boisson aimantée au zinc, que l'on peut boire sans modération car elle insuffle la vie qui nous est refusée sans elle. Blonde, brune ou rousse, succédanée de la femme rêvée, on peut la boire jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à sentir couler en soi le fluide vivifiant:

"D'autres bières achèveraient de tuer l'angoisse. Le cliqueti-clac de la capsule décapsulée par un tendre décapsuleur. Alors. Toute cette mousse, ce jaillissement jaillissant, et cette blancheur de baleine blanche, spermatique. Il enfouit la liqueur d'or dans les profondeurs rouges et noires. Les palpitantes muqueuses: il pensa à des femmes. Il n'avait sous la main que de la bière ordinaire."

Aussi consternant qu'il est, le présent est à fuir coûte que coûte, vaille que vaille, emporté par le flot des souvenirs qui surgissent sens dessus dessous, néanmoins impuissants à contenir le désespoir d'une vie insignifiante, et dont le sort est joué d'avance.
Nuits bleues, calmes bières représente un concentré de la prose de Martinet, qui se frotte déjà aux thèmes forts de son oeuvre-phare, Jérôme.

Quant à L'Orage qui nous est proposé ensuite, initialement publié dans le Matulu de Noël 1972( revue dont Jean-Pierre Martinet était le rédacteur en chef), il s'agit d'une sorte d'esquisse de La Somnolence, parue en 1975 chez Jean-Jacques Pauvert( et réédité en 2010 par Finitude). On y voit déjà apparaître les obsessions de Martha, ses hantises, la solitude, l'orage menaçant qui refuse d'éclater, ces jeunes filles rousses, le Père-révérend, et la satanée bouteille de whisky, compagnon d'infortune de la pauvre dame de soixante-seize années.




1 commentaire:

rechab a dit…

A la tienne...

toi c'est bières , la quantité...

moi c'est la force

ouh là c'est qu'il arrache le calva du beau-père !!

Zont pas oublié de mettre l'alcool, dedans;..