mardi 29 mars 2011

Jérôme, le poids des maux


« J'avais l'impression bizarre que ce n'était pas moi qui parlais, mais une voix très lointaine, oubliée depuis des années, et qui remontait d'un passé enfoui, vaguement immonde, comme si mon corps n'était plus qu'un placard vide où viennent se cacher des enfants monstrueux. »
A l'approche du mois d'avril, à la vue des cerisiers en fleur avec un mois d'avance, de ces bourgeons pullulant aux quatre coins des forêts, j'étais persuadé qu'il était plus que jamais temps de me replonger dans les entrailles du roman monstrueux de Jean-Pierre Martinet. C'est ainsi que pendant cinq jours et cinq nuits, j'ai dévoré Jérôme et ses quatre cents quarante pages, senti sur moi le poids de ses cent cinquante kilos et de ses mots comme jaillis de nulle part. J'ai bu jusqu'à la lie le calice de son désespoir, senti la rage parcourir mon corps. Du matin jusqu'au soir, j'ai vécu avec lui, subissant un à un ses caprices les plus sordides, les pensées les plus ineffables, celles qu'il n'aurait peut-être même- qui sait- jamais confiées à Solange, celle qui pourtant lui répétait si souvent qu'il fallait se méfier de la douceur de l'air qui s'insinue au début du printemps à travers les rideaux, sous les troènes, celui qui ramène des odeurs nauséabondes de cadavres fraîchement mis en bière et de gaufrettes chaudes. Nécessairement, ce genre de climat déboussole, contamine le flot des pensées, fait sortir de ses gonds les penchants malsains tapis au fond de soi. Quand on est pointé du doigt comme un attardé obèse, un rejeton désavoué qui vit encore à plus de quarante balais aux crochets de sa mère qui tricote à longueur de journée pour joindre les deux bouts, l'amour est une notion qui vous échappe, qui écoeure et qui émerveille dans le même temps, comme ces fraises tagada, scoubidous et autres marshmallow qu'on ingurgitait sans modération lorsque l'on était môme et qui, au bout d'un moment, vous retournait l'estomac jusqu'à vous filer la nausée. Dès les premières lignes-et il n'y aura pas de trêve, pas de répit possible- Jérôme étreint son lecteur comme plus tard, il étranglera Monsieur Cloret, cet homme qui est la fourberie incarnée et qui ne cessera de hanter la galerie de personnages que Jérôme rencontrera tout au long de sa saison en enfer. Malgré les différents interlocuteurs qui se présentent sur sa route, Jérôme demeure seul, infiniment isolé face à ses tourments, devant l'insignifiance de la vie qui lui martèle sans discontinuer ses leçons implacables. Les différents visages qui se présentent à lui ne semblent être en fin de compte qu'une collection de masques issus d'un carnaval d'outre-tombe au cours duquel gesticule une armée de pantins conçus pour jouer une mascarade à laquelle on doit, en dépit du dégoût qu'elle inspire, jusqu'à son terme demeuré spectateur.
« Au fond, comme Solange, je n'aimais que l'ombre, la clandestinité, la liberté inhumaine que procure cet état intermédiaire entre la mort et la vie, cet espace vide, indéfini, appelé par certains les limbes, et où je me suis toujours plu à voir le prolongement miraculeux de l'enfance. »
Seule Paulina Semilionova, la fillette du collège Semivolsky paraît encore capable de laisser entrevoir une lueur d'espoir. Et encore, même elle, tripotée, dépiautée, emportée par le vice ambiant, n'est plus que l'ombre d'elle-même, vers laquelle Jérôme court sans bien savoir toutefois à quoi elle ressemble. Pour espérer retrouver l'ange déchue, le décor lui aussi doit se transformer, prendre des allures de Saint-Petersbourg. La neige, susceptible d'ensevelir toute la pourriture de la terre, doit se mettre à tomber, à voltiger sur les vers et les fleurs, sur les morts-vivants et les fantôme de la ville. Hélas, Paris n'est qu'un faux-bourg de la cité russe avec ses ruelles mal famées, ses avenues désertes où la terreur semble avoir contaminé l'atmosphère, ses passages qui étaient jadis des refuges et qui ressemblent désormais bien plus à des chausse-trappes. Monsieur Cloret a fait perdre à Falkner, le maître spirituel de Martinet, la lettre qui l'a falsifié à jamais, qui le condamne à n'être plus qu'une parodie d'écrivain. A chaque fois que l'un d'entre eux est cité par l'entremise de son vis-à-vis, c'est pour faire exploser à la face de Jérôme son absence de culture. Oui, il fut en effet un temps où on le considérait comme un élève brillant, capable de rester des heures durant, au coeur des oeuvres les plus éprouvantes. Cette époque est révolue. Il n'est maintenant plus qu'un épouvantail, le rebut de la société, un être que l'on exècre volontiers et qui ne fait finalement plus peur à personne. Les éclaircies qui se dessinent dans ce paysage funèbre ne sont jamais que très éphémères et d'autant plus cruelles qu'elles font parfois songer à l'accalmie provisoire, au silence insoupçonnable qui précède les orages les plus violents. Dans ces conditions oppressantes, la syntaxe croule tantôt sous les répétitions, les non-sens, tantôt se retrouve court-circuitée, dénaturée, tronquée, suivant à la lettre le sort tragique de ses personnages. 

Jean-Pierre Martinet ignorait qu'il était, en quelque sorte, en train d'écrire avec une géniale prémonition, sa propre biographie puisqu'il devra à quarante ans passés retourner vivre auprès de sa mère, après avoir fait à jamais une croix sur sa carrière de réalisateur.





samedi 12 mars 2011

Avatar, un autre visage de Théophile Gautier




Si l'on cite volontiers les nouvelles et autres contes fantastiques, ainsi que Le Roman de la momie et Capitaine Fracasse, afin d'illustrer la bibliographie de Théophile Gautier, celle-ci recèle tout de même des pièces méconnues qui méritent que l'on s'y attarde tout autant que ses oeuvres les plus fameuses.
En fin d'année 2010, nous avons eu la chance que de jeunes maison d'édition entreprennent de faire redécouvrir deux d'entre elles, La comédie de la mort( Le Chat rouge), initialement parue en 1838, étrange roman en vers, et Avatar( qui n'a absolument rien à voir avec le film homonyme) qui elle a vu le jour en 1856, et dont je vais maintenant parler.

Avatar évoque une sorte d'alchimie entre la passion typiquement romantique qui prédomine dans les pages de bon nombres d'oeuvres qu'on trouve au XIXème siècle en France avec ses descriptions flamboyantes et abondantes, la tentation de céder aux mains du diable qui renvoie explicitement au mythe de Faust ou au Diable amoureux de Cazotte, et une fascination pour les expériences inspirées des pratiques venant de contrées exotiques, incarnée par le thaumaturge Balthazar Cherbonneau, dont le contraste frappant entre le patronyme et le prénom pût plaire à un certain Jean-Pierre Martinet. Le savant a non seulement ramené de l'Inde qu'il a fréquenté assidûment son penchant pour les expériences aux frontières de la vie et de la mort, mais aussi son insatiable besoin de touffeur dont il s'efforce d'envelopper son appartement parisien afin d'y créer le climat propice à l'invitation des divinités indiennes. Tout comme Octave de Saville représente l'archétype de l'amant éconduit, la comtesse Labinska symbolise la beauté idéale, inaccessible et mystérieuse, le docteur Cherbonneau, lui, représente une sorte de parodie du scientifique ivre d'expériences défiant les limites de la science, et dont les passes dissimulent mal une sorte de charlatanisme. Si cet air de déjà vu aurait pu ailleurs sembler quelque peu horripilant, ici Théophile Gautier s'ingénie à glisser une pléthore de références afin de démystifier le récit qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le ton plus ouvertement caricatural de Bellin de La Liborlière dans La nuit anglaise ( proposé chez Anacharsisqui s'éteignit quelques dix années avant la naissance d'Avatar.
Dans Smarra ou Les démons de la nuit de Charles Nodier paru en 1821, nous assistions déjà à une situation rappelant la métempsychose, puisque Lorenzo, le héros du récit, croit soudainement s'immerger dans la peau de Lucius en Thessalie.
Loin de se prendre au sérieux, le natif de Tarbes multiplie les clins d'oeil et les interventions incongrues dès lors qu'il s'agit d'identifier les deux protagonistes rivaux qui se sont échangés leur enveloppe corporelle. Peu à peu, l'enjeu mystico-gothique se transmue au fil des pages en jeu de rôles burlesque. Ainsi, les diverses réactions des proches, le diagnostic du docteur devant l'incompréhension du comte, l'oubli d'une langue maternelle, ou la réception de lettres à soit-même adressées participent au pastiche concocté avec un art redoutable de l'auto-dérision:
« Ah çà, il paraît, se dit le comte, que l'Octave de Saville dont j'occupe la peau bien contre mon gré existe réellement; ce n'est point un être fantastique, un personnage d'Achim Arnim ou de Clément Brentano: il a un appartement, des amis, un notaire, des rentes à émarger, tout ce qui constitue l'état civil d'un gentleman. Il me semble bien cependant que je suis le comte Olaf Labinski. » 
S'instaure parallèlement une réflexion sur ce qui caractérise chacun d'entre nous puisque la majorité des proches du comte et d'Octave ne se rendent pas compte des particularités étranges de l'âme qui demeure au sein de celui qu'ils côtoient au quotidien. Le corps éclipse les qualités constituant l'essence de l'être allant jusqu'à contraindre son possesseur à reproduire les penchants et les inclinations de l'ancien locataire de leur nouvelle enveloppe corporelle.
Hélas, l'unique personne qui importe pour Octave sera aussi la seule à se douter de la supercherie élaborée conjointement par le docteur et lui. 
"Le concours des deux âmes a déposé ce germe mixte dans un corps qui lui-même offre à la vue deux portions similaires reproduites dans tous les organes de sa structure. Les Orientaux ont vu là deux ennemis: le bon et le mauvais génie. Suis-je le bon? Suis-je le mauvais? me disais-je. En tout cas, l’autre m’est hostile… […] Attachés au même corps tous les deux par une affinité matérielle, peut-être l’un est-il promis à la gloire et au bonheur, l’autre à l’anéantissement ou à la souffrance éternelle?"( Aurélia, Gérard De Nerval) 

Psyché et l'amour, sculpture d'Antonio Canova(1793)

Un an avant la parution d'Avatar, Gérard de Nerval écrivait Aurélia qui ne manque pas de frapper par la similitude des thématiques abordées. On ne manquera pas non plus de noter que les deux oeuvres se déroulent pareillement à Paris, même si la situation spatio-temporelle du récit semble au fur et à mesure se déliter. Il y a également chez l'un et l'autre une confusion mise en perspective entre l'état maladif du personnage principal et l'environnement insaisissable dans lequel il se retrouve plongé. Dès lors, comme le suggère le docteur Charbonneau au comte, on peut décemment s'interroger sur la raison d'un homme confronté à des situations aussi abracadabrantes. Gérard de Nerval déclarait qu'il voulait par l'intermédiaire d'Aurélia «transcrire les impressions d’une longue maladie qui s’est passée tout entière dans les mystères de [son] esprit».
Cependant, malgré les accusations de plagiat que l'on peut formuler à l'encontre d'Avatar, comme le souligne si bien avec une malice absolument délectable Théophile Gautier, le destin d'Octave est unique puisque:
"Les historiens fantastiques de Pierre Schlemihl et de la Nuit de Saint-Sylvestre lui revinrent en mémoire; mais les personnages de La Motte-Fouqué et d'Hoffmann n'avaient perdu, l'un que son ombre, l'autre que son reflet; et si cette privation bizarre d'une projection que tout le monde possède inspirait des soupçons inquiétants, personne du moins ne leur niait qu'ils ne fussent eux-mêmes. » 








jeudi 3 mars 2011

Emile Dajan ou Jean-Daniel Dupuy, voyage en Zoneapolis dans les interstices de la réinvention



Il y a des histoires qui se content, et d'autres qui se construisent au fil des pages, au sein desquelles la rencontre du lecteur et des protagonistes est susceptible de bouleverser les repères narratifs balisant les récits traditionnels. Jean-Daniel Dupuy fait partie de ces hérauts qui envisagent la lecture comme un espace récréatif, comme une aventure à part entière, où les personnages n'hésitent pas à se bousculer, à se travestir, à se dissimuler, à chevaucher les territoires en marge, au coeur d'une épopée carnavalesque. Si les masques tardent à tomber, si les langues rechignent à se dénouer, si les indices sont distillés avec parcimonie, si les dissonances et les harmonies qui se font entendre déjouent les habitudes du lecteur mélimélomane, le plaisir découlant d'une telle approche n'en est que plus jouissif.
Le quotidien de Dupuy se transmue en exotisme et se traduit par un voyage permanent. Chaque coin de rue, impasse ou ruelle pouvant déboucher sur un rêve, sur une ribambelle de trouvailles.
Après Ministère de la pitié, Les Noces de carton( tous deux parus aux éditions de La Mauvaise graine) et les mémorables Inventions des autres jours ayant jadis vu le jour chez les entreprenantes Éditions 
Attila, la taverne ne pouvait résister au plaisir de faire découvrir en avant-première aux plus curieux d'entre vous quelques extraits des "errances anachroniques du chevalier anagramme : Okar de Fourchant" tirés de son livre inclassable à paraître très prochainement, intitulé Zoneapolis. Ils sont ici accompagnés de trois dessins à l'encre, réalisés par son compère Georges Boulard qui feront partie des huit illustrations jalonnant le livre en question.





Dessin à l'encre de Georges Boulard illustrant Zoneapolis

I / Avertissement au lecteur qui croit à la réalité du XXIème siècle


Nos villes sont des lieux de mémoire. Les œuvres d’art, les architectures, les rues, les cours, les marchés, ce qui relève du patrimoine de l’humanité comme ce qui est infiniment modeste ; tout cela participe – sans hiérarchie – à la constitution d’un paysage de la mémoire collective et individuelle. La forme de nos villes est un miroir de notre histoire. Depuis que le monde est monde, la ville raconte des histoires, parfois millénaires, à celui qui arpente ses rues. Et les grandes villes occidentales se différenciaient les unes des autres. Celle-ci avait une grande cathédrale, celle-là de très belles places ombragées bardées de fontaines, telle autre était réputée pour son marché des quatre saisons, telle autre se vantait de posséder de somptueuses façades ouvragées ou des bars et des cafés qui restaient ouverts toute la nuit… certes, on relevait une batterie d’éléments communs mais chacune parvenait (par son génie, sa généalogie, sa culture) à apprivoiser les formes de manière à créer son propre décor. Paris n’est pas Marseille, Barcelone se défend de Madrid, Naples emmerde Milan et Stuttgart ne ressemblera jamais à Lisbonne. Il ne s’agit pas de souligner les particularismes locaux ni de se faire l’apôtre d’une nouvelle forme de chauvinisme international mais plutôt de démontrer qu’au fil des âges, des hommes et des femmes ont laissé une empreinte dans le paysage : cela, pour interpréter le monde et s’approprier un espace. Et puisque notre monde est multiple, il est bien normal d’observer une multiplication des tentatives de personnaliser ces territoires. Peut-on imaginer une alternative contraire ? Peut-on envisager une homogénéisation des cultures et des territoires ? L’uniformisation des espaces sur un modèle unique n’est pas concevable. Ou bien il s’agirait d’une tentative désespérée, d’un épisode historique circonscrit (le joug d’un régime totalitaire ou les conséquences d’une catastrophe naturelle).
Pourtant, l’inconcevable a eu lieu. Désormais, dans les villes de la social-démocratie, il existe des lieux privés de mémoire. Ce sont des espaces standardisés, rationalisés, créés de toutes pièces – et à toute vitesse – par et pour le commerce. Dans les Zones d’Activités Commerciales, la circulation des corps et des biens est optimisée pour répondre à une seule loi : consommer, consommer à outrance, consommer en toute sécurité. Dans ces « zones » le paysage disparaît au profit du passage. On traverse des espaces de la manière la plus efficace qui soit et la notion de territoire est vidée de son sens.  Dans ces zones, on est à Toulouse comme on est à Strasbourg, on est à Lille alors qu’on croit être à Montpellier. On croit être à Paris, à Moscou, à Berlin… alors qu’on est nulle part !

Dessin à l'encre de Georges Boulard illustrant Zoneapolis



III / Où l’on dit comment est né le valeureux chevalier qui va défier la réalité

Dans cette guerre, je l’ai dit, le combat est inégal. Mais je relève le défi. Le véritable pari de ce texte est de montrer qu’un seul homme peut braver le système, battre en brèche cette logique de conditionnement. Dans cette « zone » où la surveillance des corps est la règle, j’imagine une présence subversive, une présence qui traverserait ces lieux à la manière d’un spectre. Puisque la « zone » brille par sa rationalité, sa transparence, qu’elle permet à ceux qui contrôlent de lire les pensées, les faits et gestes de chaque individu, que les messages et les informations diffusés limitent le pouvoir de décision des visiteurs, je leur oppose mon héros : un être fantastique, une sorte de croisement entre le Don Quichotte de Cervantès et le Stalker de Tarkovski. Il s’agit d’un personnage de fiction car la faculté d’imagination est la première arme qui peut contrer la faiblesse et la sécheresse d’esprit de mon adversaire. Bien entendu, c’est un personnage anachronique, porteur d’une histoire, garant d’une mémoire. Ce personnage est doué de sentiments et cherche l’aventure. Et mon adversaire sera impuissant car il ne pourra jamais saisir ou interpréter les émotions de mon héros. Je le dote aussi d’un pouvoir magique qui lui permettra de se déplacer sans encombre pour déjouer les pièges de son ennemi : mon ingénieux personnage est doté d’un pouvoir d’invisibilité renforcé. Ultime insolence à l’égard des puissants commerçants, le nom de mon chevalier est un double anagramme qui fait exploser les noms de deux grandes enseignes de la distribution, et les apparie pour mieux les confondre. Insaisissable et fantasque, capable des plus grands exploits, voici le chevalier anagramme, j’ai nommé OKAR de FOURCHANT.





Dessin à l'encre de Georges Boulard illustrant Zoneapolis



VI / Qui traite du premier combat que notre chevalier dut mener contre une armée immobile

I
l est relativement aisé de parquer son véhicule dans la « zone ». Okar remarque néanmoins qu’il est plus facile d’entrer sur le parc de stationnement d’un hypermarché que d’en sortir. Le marquage au sol, les panneaux de signalisation indiquent très clairement à l’automobiliste l’itinéraire le plus rapide pour pénétrer dans un grand magasin. Il hésite seulement entre parking souterrain et parking aérien. Quitter le lieu est une autre affaire. Tours et détours. Sens interdit, sens obligatoire, giratoires obligent l’ex-client à traverser toute l’aire de stationnement, de passer devant  la station service – on ne sait jamais, à déboucher en face d’autres magasins, à redevenir client. La sortie n’est pas loin. Merci.

Si l’on observe les cohortes de véhicules garés sur les parcs de stationnement, immobiles, obéissantes et puissantes, presque au contact les unes des autres. Si l’on observe la perfection des lignes, la rigueur d’une organisation militaire saute aux yeux. Si l’on cherche la verticale, on voit flotter des drapeaux. Okar ne s’y trompe pas : des étendards au-dessus d’une armée immobile. Okar de Fourchant sait que le château-hangar est en état de siège.
Que faire lorsqu’on est chevalier anagramme à la recherche d’aventure ? Que faire face à des phalanges armées, parfaitement carrossées, prêtes à vrombir et à vous écraser. Fuir. Se réfugier à l’intérieur de l’hyper-château-fort au plus vite. Okar n’est pas un lâche. Il fait front. Il ordonne aux véhicules de se rendre immédiatement. Dans le cas contraire il fracassera cette Porsche Cayenne, ce monstre de métal boursouflé d’arrogance qui lui fait face. Mais aucun véhicule ne bouge. La reddition est immédiate. Ils connaissent la fureur d’Okar, ils ont du entendre parler de lui, de sa valeur et de son courage. Okar pourrait détruire les deux trois Peugeot qui clignotent en hurlant sur sa gauche, mais Okar de Fourchant ne se bat pas contre un ennemi quand celui-ci n’offre pas la moindre résistance. Okar n’est pas un lâche. Invisiblement, Okar de Fourchant franchit les portes du grand magasin. BIENVENUE.