dimanche 9 janvier 2011

La taverne part à l'abordage du Bathyscaphe

Bathyscaphe conçu en l'honneur de la sortie du numéro 2 de la revue homonyme

"Enfin un journal cher et luxueux pour les gens qui ne s'intéressent pas à l'actualité!"

Ainsi s'autoproclame Le Bathyscaphe, revue hétéroclite, cosmopolite et anachronique qui a battu des records de vente aux quatre coins de la planète. Nous présentions dans la taverne il y a peu les réalisations de quelques membres d'équipage et électrons libres gravitant autour. Cet automne, la revue québécoise a lancé, contre vents et marées littéraires, son sixième numéro qui a été salué par L'Ancien Observateur comme étant la plus indispensable des réalisations de ces dix dernières années pour les amateurs de curiosité. Je me garde de reproduire ici les manchettes diffamatoires du Canard déchainé, dont le ton est sûrement dû à la jalousie de découvrir dans un journal rival une double page consacré à son cousin de l'ordre des ansériformes. La taverne a mené l'enquête auprès du principal intéressé, Benoît Chaput, pour tenter d'en savoir plus.


B.C.: Avant de  répondre il me faut préciser que Le Bathyscaphe est animé par un collectif de quatre personnes, les éditions Seuls maîtres à bord, soit Hermine Ortega, Antoine Peuchmaurd, Alexandre Sanchez et moi-même. Je ne puis répondre aux questions qu'en mon propre nom : chaque instigateur aurait probablement sa propre version des choses, de petits contes variant sensiblement au gré des perspectives.
  • Ed: En choisissant un tel nom pour une revue, aviez-vous l'intention de conjurer le sort, en partant du principe qu'il fallait absolument couler pour exister?
Je ne le dirais pas comme ça. En fait, il me semble que trouver un nom -- que ce soit pour une revue, une association de malfaiteurs ou un objet familier -- est l'occasion d'un possible jeu collectif plein de charme où le hasard et les libres associations d'idées ont leur mot à dire. Dans ce cas, Hermine Ortega nous est très rapidement arrivée avec ce nom accompagné de sa définition du dictionnaire qui nous ont tout de suite séduits. Cette définition, que l'on trouve en sous-titre à chaque numéro est la suivante :  "Appareil habitable destiné à conduire des observateurs dans les grandes profondeurs sous-marines". Nous aimions cette idée d'exploration sous la surface de la culture. Et que notre esquif ne craignait pas d'être coulé dans l'affrontement puisque c'était par le fond qu'il était le plus à son aise. Il est vrai que notre approche de la culture se fait plutôt du côté des soi-disant "perdants". Comme tout un chacun, nous ne sommes pas grand choses et surtout pas des "spécialistes". C'est en qualité d'êtres sans qualités, de "docteurs en rien" que nous aimons observer et dériver au gré des courants sous-marins.


Composition de la boisson appelée Submarino


  • En vous lisant, on a régulièrement la troublante l'impression d'avoir affaire à une bande d'enquêteurs profanes qui portent un regard presque naïf sur une question mineure, et qui s'évertuent de la considérer de la plus haute importance, comme ces aventures du sujet abordant les sources des oies de cravan.
Ce jeu n'en vaut la chandelle que si la question "mineure" révèle en bout d'enquête des enjeux étonnants : comme pour tout bon jeu, avec un minimum d'application et de sérieux enfantins, il est possible d'en venir à ébranler bien des certitudes du monde des questions "majeures". Ainsi de cette histoire des sources de L'Oie de Cravan : j'avais d'abord été quelque peu intimidé par le fait que Jean-Yves Bériou, l'auteur de la chronique "Les aventures du sujet", propose comme enjeu de son enquête le nom même de la maison d'édition que j'anime. Mais en découvrant où cela le mène, je suis resté bouche bée : à partir d'une dérive sur les mots "Oie de Cravan", il arrive vraiment à toucher aux axes essentiels de la poésie : les principes d'analogie, le génie des métamorphoses, le rapport secret des mots et du monde. Un regard presque naïf voit parfois clair à travers les eaux les plus troubles.
  • Comment Le Bathyscaphe a-t-il vu le jour?
J'ai toujours aimé les petites revues. Fasciné par celles des avant-gardes historiques mais aussi par des revues contemporaines comme Gnou et Mandrill autour de Thierry Horguelin ou l'Hôtel Ouistiti de Jimmy Gladiator. J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir que Christian Dotremont en avait créé plusieurs, souvent pour un seul numéro, avec des numérotations parfaitement farfelues. Mais c'est à l'occasion d'une conversation avec Antoine Peuchmaurd et Valerie Webber, sa copine, que l'idée du Bathyscaphe est née. La conversation tournait autour du sexe. Valerie, beaucoup plus jeune et expérimentée que moi, avait des opinions sur le sujet qui me choquaient quelque peu. C'était à la fois son domaine de travail et d'études universitaires. Comme elle est anglophone, nous nous sommes dit qu'il serait intéressant de faire une publication avec une "sex column" où elle pourrait étaler son expertise dans sa langue. J'envisageais alors d'avoir une chronique naïve en réponse à la sienne et de mettre ainsi nos différences de perspectives au grand jour. J'avais lu dans un ouvrage sur son histoire que la Revue Blanche publiait ainsi des chroniques contradictoires et l'idée m'avait beaucoup plu. Cette conversation a vraiment été l'étincelle de départ. Au fil des discussions la revue a pris une forme particulière : nous avons gardé l'idée d'une revue bilingue, où chacun pouvait s'exprimer dans sa langue sans que son texte ne soit traduit. Ceci est particulièrement important parce que Montréal est une ville où nous sommes, par les deux langues qui y dominent, à la croisée des chemins entre l'Europe et l'Amérique. Naturellement est venue s'ajouter l'idée d'avoir sur ces continents des correspondants un peu partout (New-york, Toronto, Montréal, Liège, Paris, Brive, Marseille, Genève).
  • Quel en est le fil conducteur?
Question difficile entre toutes! Le Bathyscaphe est d'abord un journal de culture inactuelle. C'est à dire que nous nous intéressons à la culture en tant que richesse dans nos vies comme totalités, certainement pas en tant que produit tout frais dont il faudrait assurer la mise en marché. Nous parlons des livres, musiques, architectures, poésies, ambiances, films etc... qui nous aident à vivre ou qui, au contraire, nous étouffent. Chacun le fait à sa façon, par la chronique. Le Bathyscaphe n'est pas un journal de création littéraire mais il est vrai que parfois la frontière est mince. Et, paradoxalement sans doute, nous encourageons la création visuelle de nos dessinateurs et photographes. En fait, Le Bathyscaphe se forme au gré des courants. Il nous est souvent difficile de le définir mais chaque numéro ressemble au Bathyscaphe et ne ressemble à rien d'autre!
  • Quelle est la parenté entre cette dernière et l'Oie de Cravan?
On peut lire dans l'ours du Bathyscaphe que la revue est publiée "par les éditions Seuls maîtres à bord en collaboration avec L'Oie de Cravan". Cela signifie surtout que je me charge de la mise en page du journal. Je suis l'éditeur de L'Oie de Cravan et membre fondateur du comité éditorial de Bathyscaphe. Il s'agit donc d'une grande proximité, mais la parenté s'arrête là. De fait, le Bathyscaphe constitue une entité financièrement et éditorialement indépendante de L'Oie de Cravan. Mais là, comme partout ailleurs, les frontières sont heureusement souvent floues.


Bathyscaphe Archimède, timbre de 1963 dessiné et gravé par Albert Decaris
  • En prenant justement en compte l'aspect financier de l'entreprise, comment peut-on de nos jours avoir l'audace de lancer une revue?
Il faut sans doute une joyeuse inconscience. Le fait est que la quête de carburant pour faire tourner l'hélice est bien difficile. Fonctionnant volontairement sans subvention, ni publicité, il n'y a que les abonnements et les ventes directes pour nous faire avancer. Jusqu'à ce jour nous avons réussi à maintenir le prix de vente au numéro à 5 dollars pour l'Amérique et 5 euros pour l'Europe. Et l'abonnement à 20 dollars ou 25 euros. Ça suffit à peine à mettre le timbre sur l'enveloppe et il va falloir nous résoudre à monter quelque peu ces prix.  Mais nous croyons en la valeur de ce luxe d'un submersible qui voyage sous enveloppe timbrée. Pour certains, dont nous sommes, la vie ne vaut que par les brèches qu'offre ce genre de luxe lent auquel appartient le sous-marin postal.




2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci, honorable Doge, d'accueillir dans les eaux d'ivoire noir de votre lagune le fragile et précieux submersible dont je m'honore d'être l'un des passagers.

Joël Gayraud.

edwood a dit…

Joël, mais tout le plaisir est pour moi, d'autant que l'idée de rendre hommage à cette noble entreprise ne date pas d'hier.
Avec mes salutations