mardi 26 mai 2009

Les coïncidences du web: histoire de taverne à dormir debout


Très pris par la lecture du volumineux Jérôme( n'y voyez pas de mauvais jeux de mots) de Jean-Pierre Martinet, je n'ai guère eu l'occasion, dernièrement, d'intervenir sur ces pages.

Au détour d'un vagabondage internautique, j'ai été amusé de tomber sur un blog italien qui s'appelle La taverna del doge loredan, tenu par un certain Venitien, dénommé Paolo Nardi. La coïncidence ne s'arrête pas là puisque le jeune homme a le même âge que moi (non, je ne révélerai pas ici le mien à mes milliers, que dis-je, mes millions de lecteurs!) et affectionne aussi tout particulièrement le livre du grand Alberto Ongaro. Du moins, visiblement, d'après ce que j'ai pu comprendre d'après mon niveau de langue ô combien rudimentaire dans la langue de Leonardo de Vinci.
Les troublants rapprochements ne s'arrêtent pas là puisque, si l'on scrute le blog de plus près, on se rend compte que ce cher blogueur est hébergé par le même site que moi(dont je tairai le nom afin d'éviter une tournure publicitaire à ce billet anodin).
De plus, ce blog a été créé en l'an de grâce 2007, soit la même année que la taverne française. Autant, de mon côté, cela peut s'expliquer assez raisonnablement par le fait que le livre La Taverne ait été traduit en cette même année en français, autant pour le blog de mon confrère, cela est plus surprenant puisque le livre a vu le jour il y a presque trente ans en Italie, en 1980 plus précisément. Tiens donc, c'est aussi l'année de naissance de Paolo Nardi!
Le plus troublant est le fait que l'un des tous premiers articles mis en ligne est celui qui évoque le livre d'Ongaro. Il semblerait que son charme a engendré des vocations de blogueur.
Toujours est-il qu'au moment où je créai ce blog, je n'avais nullement connaissance de l'existence d'un homonyme italien.

samedi 16 mai 2009

D'un blog à l'autre: l'autre visage vert, le blog

Comme une agréable découverte peut parfois en accompagner une autre, j'ai eu la surprise d'apprendre que Le Visage vert disposait aussi d'un blog associé à la revue, créé le 9 septembre 2007.
Sachez que si la revue est une pépite en soi, le blog, quant à lui, représente une mine d'or inépuisable.




"Il y a aura des nouvelles des littératures qui nous séduisent, quelques envolées critiques, et des incitations diverses et variées à la lecture" annonce t-on dans le premier billet. Pour moi, il y a surtout eu des nuits blanches qui se sont soldées par un allongement sans fin de ma liste de livres à lire, de blogs ajoutés à mes favoris et autres curiosités à dénicher, sans parler de toutes les expositions ou rencontres auxquelles je n'ai pas pu assister pour la bonne raison que je découvre ces nouvelles largement en différé.
Bien sûr, la priorité est donnée aux nouvelles qui concernent Le Visage vert et celle qui gravitent autour, salons, rencontres, débats, séances d'exorcisme ou de spiritisme dans un village paumé du massif central (j'exagère quand même un peu).
Parmi celles-ci, j'ai eu la très agréable surprise d'apprendre que Le visage vert s'apprête à pointer le bout de son nez vert avec un seizième numéro, avec de délicieuses frayeurs en perspective: un riche dossier sur la sorcellerie allemande, deux nouvelles de Jules Lermina (L'écorché vivant et Au-delà) et une incursion en terre chinoise. Demandez le programme, le voici.
Comme si cela ne suffisait pas, Le Visage vert sort des ténèbres, avec Zulma, sa maison, pas moins de trois nouvelles parutions. Ainsi, sont attendues "Le marais aux sorcières, une longue nouvelle de l’écrivain autrichien Paul Busson, accompagné d’un essai de Michel Meurger sur les femmes louves et d’un texte inédit en français de Friedrich de La Motte Fouqué, Lamont, un recueil de nouvelles d’Anne-Sylvie Salzman( que nous évoquions lors du précédent billet) et… enfin, oui, La sirène tant attendue, une histoire en images de Stepan Ueding", l'arlésienne du Visage vert en quelque sorte. Que demande le peuple? Que Le visage vert honore le Marché de la poésie de Paris(du 18 au 21 juin) de sa présence? Oui, cette infatigable équipe, habituée à nous plonger dans des ténèbres insondables, sortira de son antre, pendant les jours les plus lumineux de l'année, pour rencontrer ses fidèles lecteurs et autres curieux. Bel effort!

Par ailleurs, on retrouve non seulement ce qui fait l'actualité du monde étrange et fantastique, mais aussi des exhumations dans les thèmes qui sont chers à la revue: le vampirisme, l'occultisme, ou plus généralement, l'étrangeté sous toutes ses formes. Le blog se permet de rendre hommage à des formes artistiques aussi variées que le cinéma, la photographie, l'illustration, la bande-dessinée ou même la musique.

Les compères se donnent à coeur joie de sortir de l'ombre le méritant cinéma fantastique japonais avec des représentants comme le célèbre Kiyoshi Kurosawa, ou les moins connus Shinya Tsukamoto et Hiroshi Teshigahara ou même Hirokazu Koreeda et Kôji Wakamatsu.
En tant que passionné de cinéma d'animation, je ne pouvais pas me permettre de passer sous silence les invitations à découvrir des maîtres du genre, comme la pionnière de l'animation qu'est Lotte Reiniger, dont l'oeuvre a inspiré toute une génération de Tim Burton à Michel Ocelot( Princes et Princesses). Son oeuvre maîtresse, Les aventures du Prince Ahmed, réputée pour être l'un des tout premiers films d'animation de l'histoire, est disponible depuis peu dans une édition collector, bourrée de bonus, et à la présentation soignée. Le visage vert n'a pas manqué non plus d'évoquer tour à tour une rareté de Jan Svankmajer( Sileni) réputé pour son adaptation audacieuse d'Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, et une autre oeuvre qui mérite le détour, Christies de Phil Mulloy, cet animateur au style cartoon assez jouissif.




Je n'avais jamais tourné mes yeux vers la peinture étrange d'Alfred Kubin(honte à moi!). Grâce au visage vert, son oeuvre étrange et funèbre ne me seront plus tout à fait étrangères. Pour ceux qui ne le savaient pas, Alfred Kubin est aussi l'auteur d'un roman fantasmagorique, L'autre côté, publié chez Corti( en 2000) et d'un recueil de nouvelles au titre évocateur, Le cabinet de curiosités. Sans nul doute, ces deux titres figureront parmi mes prochaines lectures et je tâcherai d'en rendre compte au cours d'un prochain billet.
J'aurais pu aussi évoquer l'oeuvre du peintre Odilon Rédon mais je vous laisse découvrir quelques uns de ses tableaux sur un blog qui lui est consacré.

Le visage vert nous laisse aussi une myriade de portes ouvertes vers d'autres blogs, littéraires pour l'essentiel. L'un d'entre eux, créé par l'un des fondateurs de la revue, justement s'appelle La porte ouverte et il nous offre une alternance pertinente entre extraits de texte à forte résonance fantastique, citations et illustrations.
Je ne pouvais non plus passer sous silence la découverte de Romain Verger, qui tient un site de création littéraire, plastique, vidéo et enregistrement. Ce touche-à-tout est un admirateur du travail de David Lynch et cela se ressent dans ses expérimentations en tous genres. L'une de ses spécialités est le gif animé de morceaux de film. Il est aussi l'une des plumes du magazine sitartmag et aussi un romancier déroutant, comme l'attestent les deux oeuvres publiées chez une maison qui me tient à coeur, Quidam. Il s'agit de Zones sensibles et Grande ourse, qui exploite l'un des thèmes chers à Romain Verger, l'influence d'une vie ancestrale chez l'homme contemporain.
Il est fort probable que le nom de Romain Verger refasse son apparition dans ces pages, d'autant plus qu'on apprend ici qu'il devrait marquer de son empreinte la cuvée 2010 du Visage vert...
Je pourrais aussi évoquer les innombrables étrangetés dont le blog fait allusion mais je préfère vous laisser plonger au coeur des ténèbres.

Par ailleurs, les billets sont suffisamment concis et tentants pour donner envie de vagabonder ici et là.
Curiosité, éclectisme, richesse, documenté, ouvert, Le Visage blog du vert a vraiment tout pour plaire. La taverne lui souhaite une longue vie.

mardi 12 mai 2009

Hantises et malédictions..tout un programme



A la taverne, on aime les revues littéraires car elles s'imposent comme une alternative traditionnelle à la mode mercantile pour découvrir la littérature. Peut-on rêver démarche plus dépaysante que de partir à la découverte d'auteurs oubliés, à travers une sélection de leurs textes courts, être séduit et se laisser inviter naturellement à ouvrir d'autres portes, à entreprendre d'autres voyages littéraires.
Si les revues littéraires sont un objet en voie de disparition, c'est à mes yeux, avant tout, car elles induisent un processus lent, indirect de découverte, à l'heure où le lecteur lambda est avide de livres prêts à consommer, vite lues..et vite oubliées. Antithèse de la modernité, elle sollicite la curiosité du lecteur et sa participation totale. L'auto-satisfaction de la découverte en sera d'autant plus jouissive qu'elle découlera d'une approche plus personnelle.

Le visage vert, du nom du roman homonyme de Gustav Meyrinck, repris par les éditions Zulma depuis 2007 (après quatre années de silence) présente certains aspects qui méritent largement qu'on s'y attarde.
Commençons par la présentation globale. Le style rétro séduit d'emblée. En guise de couverture recto, nous avons une série de noms d'auteurs, dotés d'une police de caractère fort variable, qui se superposent avec des coloris noirs et fuschia sur fonds crème. Au verso, tel le reflet d'un miroir, l'ordre des lettres est inversé et la densité des couleurs semble s'estomper. Cette invention graphique annonce le thème central de la revue qui catalyse l'ensemble des textes proposés, reproduit sous la bannière frappante

HANTISES ET MALÉDICTIONS

Un programme alléchant. La mise en page, les ornements délicats et les illustrations (souvent, il s'agit des portraits d'auteurs pour l'essentiel) choisies avec beaucoup de goût accentuent à la fois l'atmosphère inquiétante et la tonalité résolument gothique qui se dégagent des textes.
D'ailleurs, l'essentiel des auteurs qui montrent ici le bout de leur plume ont vogué dans le monde littéraire, entre la fin du XIXème jusqu'au début du XXème siècle. Nous allons voir que si certains noms alimenteront des réminiscences à certains d'entre vous, d'autres sont tombés dans un oubli insondable. L'aura dont se drape leurs textes en est d'autant plus étrange.




Après un édito succinct qui donne l'eau à la bouche, on nous offre en guise d'ouverture, une délectable nouvelle d'un auteur délaissé, Jules Bois, présenté comme un "barde de l'invisible".

"L'Amour est plus fort que la Mort"

Le succube évoque un filon déjà maintes fois exploité de la figure de l'être aimé trépassé qui vient hanter l'esprit de l'être vivant afin de l'attirer dans l'au-delà. Cependant, la poésie qui s'en dégage m'a fait songer aux plus belles pages de l'ineffable Véra de Villiers de l'Isle-Adam. Le thème de la possession, du vampirisme y sont ici davantage exprimés.

Ralph Adams Cram est présenté pour être l'un des architectes précurseurs du "gothic revival".
S'il a conservé une notoriété posthume dans le domaine littéraire, cela est du probablement à l'influence que son oeuvre a exercé sur le grand Lovecraft, à tel point que ce dernier reprendra l'univers de l'une des deux nouvelles présentées ici, La Vallée morte, dans nombre de ses écrits. Quant à l'histoire de maison hantée, N°252, rue Monsieur-le-Prince, elle présente de troublantes ressemblances avec celle de La maison Maudite(1924) du maître de l'épouvante. Si le style emprunte de nombreux clichés aux ghost stories, l'écriture conserve un charme suranné indéniable. Sa particularité est de se dérouler à Paris, cadre que l'on retrouve rarement pour de telle légendes, qui prennent souvent place dans les demeures victoriennes et autres sempiternels châteaux perchés au-dessus des falaises des îles écossaises. L'occasion pour l'auteur d'user et abuser de termes français transcrits dans leur langue d'origine, comme la "Bouche d'enfer", terme repris dans le titre de l'analyse qui suit de Michel Meurger.


Anne-Sylvie Salzman est un peu un cas à part car il s'agit du seul auteur en vie figurant dans cette revue. Elle avait déjà collaboré au visage vert, sous le règne de Joelle Losfeld, au travers de la nouvelle, Meannanaich(N°9 d'octobre 2000) et La fin de la nuit( octobre 2002).
Ici, elle nous offre une troublante histoire de soeurs dont la ressemblance est frappante. Leur destin vont se croiser et s'associer dans un monde étrange, dans lequel un oeil vient perturber le destin des personnages et brouiller la vision du lecteur. Comme beaucoup de récits ici présents, la part de mystère est prépondérante, mais ici, de façon exacerbée. A noter que deux romans de Salzman ont aussi vu le jour, Au bord d’un lent fleuve noir en 1997(chez Losfeld) et Sommeil en 2000 (Collection "Merveilleux" de Corti). J'espère pouvoir avoir l'occasion de prolonger ma découverte et de vous dire plus sur ces deux romans fort tentants.



Le paquebot ensorcelé (de Norbert Sevestre?) m'a beaucoup séduit dans la forme mais laisser sceptique quant au fond. Il s'agit à mes yeux de la nouvelle la plus mystique, mais peut-être aussi de celle qui laisse le moins de liberté quant à l'interprétation. Elle se présente sous forme de chronique mystérieuse, relatant la malédiction d'un navire, Le Prince Edward, qui aurait subit par le passé, une série de tragédies, systématiquement situées à un endroit particulier, qui ressemble étrangement au triangle des Bermudes. L'intérêt est aussi d'y découvrir un personnage de fictions épisodiques, qui a fait l'objet de bien des controverses, Sâr Dubnotal. Ce personnage est un psychagogue, androgyne, à l'habillement reconnaissable entre tous, mélangeant les modes orientale et latine. Comme le laisse si habilement songer François Ducos tout au long de son passionnant article, si ce dernier a intrigué de nombreux historiens de la littérature, c'est avant tout car le mystère plane quant à l'identité de(s) auteur(s) qui lui a donné vie. La légende de la genèse de l'oeuvre rejoint celle du contenu du texte.

Un autre article d'une grande richesse, probablement l'un des plus beaux hommages dont aurait pu rêver l'auteur en question est celui d'Eric Vauthier, intitulé Jean Cassou, conteur et enchanteur. On apprend que si "Jean Cassou est aujourd'hui presque oublié"(selon Alain Bosquet) il n'en demeure pas moins une figure majeure et atypique au sein du paysage littéraire français moderne. Les histoires de Jean Cassou portent en elles l'empreinte des grands conteurs que sont Andersen ou Hoffmann mais elles conservent une distinction réaliste prépondérante. Ainsi, Gonzague Truc résume remarquablement l'impression de lecture des deux nouvelles qui nous sont proposées:

"Il y a, dans les livres de Jean Cassou un mélange, un dosage de réalité, de fantastique, de sensualité, de sentiment, de désespoir, d'âpre et vaine ardeur qui les fait ressembler étrangement à la vie."
Au-delà de l'écrivain, conteur et poète, la figure de Jean Cassou résistant pendant la deuxième guerre méritait cette évocation humble afin de redorer son blason.

La maison sous la neige est le récit de voyageurs reclus dans un chalet enfoui sous la neige. Peu à peu, la situation devient préoccupante à cause des vivres qui s'amenuisent dangereusement. Le récit peut paraître réaliste mais on va se rendre compte que les hantises des personnages vont prendre le dessus. Je n'en dirai pas plus. Ophélie, quant à lui, est un pur bijou de concision et de poésie. L'art de voyager en l'espace de quelques pages. Après celles-ci, une envie furieuse de découvrir cet auteur risque de vous étreindre. Hélas, il s'agit d'un auteur dont les oeuvres sont extrêmement difficiles à dénicher.

Leopoldo Lugones, c'est un peu l'anti-Cassou. Figure tour à tour adulée et bannie par ses pairs- Borges en tête- selon ses penchants politiques fluctuants, celui qui n'hésitait pas à exclamer "L'heure de l'épée a sonné" conserve une place certaine dans les mémoires de l'histoire littéraire sud-américaine. Sa vie démontre qu'il n'est pas aisé de manier les mots aussi bien dans ses discours que dans ses livres. Membre influent du mouvement autour de la Revista America, influencé par Edgar Allan Poe ou Walt Whitman, l'argentin marquera les esprits en particulier avec un recueil de 1906, Las fuerzas extranas, qui comprend les deux nouvelles présentées ici.
La pluie de feu
et La statue de sel sont des récits qui s'apparentent à des mythes. La particularité est la narration entreprise par un homme qui a succombé à un cataclysme. J'ai beaucoup apprécié la première des deux oeuvres, dotée d'une grande puissance d'immersion dans une ambiance de dévastation, d'apocalypse. Lugones réussit le tour de force de rendre extrêmement palpable la fragilité du personnage face à l'ampleur de la force de la nature.

Hermann Wolfgang Zahn est, quant à lui, tombé dans un oubli profond. Et pour cause, il s'agissait d'un neurologue peu soucieux de mettre en avant son talent d'écrivain. Histoire d'un tableau est une nouvelle qui met en avant la puissance insoupçonnée que peut recéler un objet.
L'auteur associe les situations de bien belle façon pour jouer avec lui et faire vagabonder son imagination, d'un bout à l'autre de ses possibilités. Un exercice de style trépidant, une nouvelle très riche, troublante qui mérite largement le détour.

Je me rends compte que je me suis largement laissé emporté par ma passion. J'aimerais tout de même ne pas trop parler des deux dernières oeuvres dont est composé la présente revue afin de préserver quelques surprises au lecteur qui franchira le pas. Autant vous dire que l'ultime oeuvre est une adaptation originale et aventureuse d'Ancient sorceries de Algernon Blackwood, qui sait mettre en valeur toutes les ressources propres à cette revue de bien belle tenue, que nous offre ici Zulma. Un succulent dessert en somme pour une revue d'une bien belle tenue d'ensemble.



dimanche 10 mai 2009

Patrick Dao-Pailler transfigure les §iamoises

Les siamois sont surtout connus pour servir de phénomènes de foire, tout juste bon à appâter des visiteurs assoiffés de monstruosités. Si certains artistes ont abordé le thème directement ou indirectement, comme Tod Browning (Freaks) des exemples équivalents manquent cruellement au domaine de la fiction littéraire. Patrick Dao-Pailler a pris conscience du potentiel qu'offre cet univers, dans toute sa complexité et sa richesse.

"Lucy et Adina, deux soeurs siamoises, interrogent, chacune avec ses mots et sa personnalité, une existence quotidienne commune et un corps partagé."

Son premier roman, §iamoises, fait preuve d'une habilité troublante à aborder des situations dérangeantes et fondamentales, avec un regard à la fois personnel et finement nuancé. Il a opté pour un parti pris déroutant, mais d'autant plus puissant, de faire vivre chacun de ses personnages, non pas comme un être double mais bien individuellement, dans son rapport à l'autre. Lucy puise dans ses rêves ce qu'Adila explore dans les livres. Le piège de la confusion outrancière est habilement déjoué par une impression de complémentarité exacerbée.
La mise en page originale, quasi-théatrale et picturale n'est pas innocente, d'autant plus quand on connaît les domaines de prédilection de Patrick Dao-Pailler. Elle s'apparente à une chambre d'échos qui met en relief les méandres des pensées propres de chacune des soeurs, dont les contours s'embrassent, s'étreignent, s'épousent au sein d'un cercle irrémédiable.

"Ils recherchent tous ce que nous avons trouvé dès notre naissance. Un double à aimer et à haïr. Peu leur importe leur position, leur statut, peu leur importe de savoir s'ils sont ce qu'ils disent être ou l'exact inverse- peu leur importe même leurs volte-face incessantes. L'essentiel est qu'en face un personnage soit là- leur image inversée dans le miroir- qui vienne leur donner le sentiment d'être complets. Ils nous vénèrent pour cela, pour ce que nous représentons: l'hypernormalité. Nous ne sommes pas dans les marges, mais pile au centre. Pile sur la ligne médiane qui partage la courbe de Gauss en deux parties égales. Au fond, qu'ils nous rejettent ou qu'ils nous adorent, c'est vers nous que tous se tendent..."

Au fond, l'auteur tend à nous montrer que les soeurs siamoises sont victimes de convoitise car elles jouissent dès leur naissance du privilège d'empathie complète avec un double naturel, alors que pour y accéder, le commun des mortels devra se résoudre à une quête désespérée de toute une vie.
L'auteur illustre cette proximité entre les siamois,en évoquant des cas médicaux où, bien que biologiquement réalisable, la séparation s'est avérée fatale. La science est dépassée par une alchimie qui la transcende. L'origine de l'accusation retenue contre les soeurs dans la deuxième partie de l'oeuvre n'est-elle pas d'ailleurs à rechercher dans cette jalousie humaine, innée et partagée, bien plus que dans la situation compromettante, dans laquelle les deux soeurs se retrouvent à la suite du crime?

Parmi les griefs que l'on peut formuler, les personnages profitent d'un traitement inégal. Certes, les deux soeurs, Lucy et Ady ou encore Hélène, la voisine qui sous son apparente bienveillance dissimule une terrifiante perversité, sont d'une très grande richesse, et on ne se lasse pas une seconde de découvrir leurs différentes facettes. Pourtant, d'autres comme Bob, chargé des soeurs, Sally ou d'autres personnages qui interviennent plus tard, manquent d'ampleur, car ils semblent, à mes yeux, trop délaissés. A ce titre, la fin du récit m'a parue quelque peu bancale, trop peu cohérente au vu du reste de l'oeuvre.

Toutefois, l'impression d'ensemble que j'ai eue à la lecture de celle-ci est très largement agréable.
L'écriture de Patrick Dao-Pailler est faite de phrases courtes, incisives, et d'ellipses glissées à merveille. L'auteur a le pouvoir de disséquer les tourments intérieurs des personnages et évoquer sans pathos le malaise que suscitent certaines scènes. Sa précision chirurgicale, tout en évitant les lourdeurs, m'a rappelé l'art de Linda . Ils ont tous les deux le point commun de créer une connivence entre le lecteur et des figures abandonnées de la littérature, avec un art certain.
Les références culturelles sont choisies, encore une fois, avec beaucoup d'à propos et certains noms propres sont loin d'être glissés par hasard.

Au final, l'auteur a réussi un double pari. Parvenir à captiver le lecteur avec un thème très délicat, mais aussi, avoir créer un univers très personnel, à la teneur psychologique dense et complexe.
Saluons la maison associative Le Vampire Actif basée à Lyon( dont je vous présentais dernièrement leur riche blog Le Vampire Réactif) qui a su lui faire confiance.



vendredi 1 mai 2009

Le Mexique, un pays à la littérature florissante




Alors que l'actualité s'acharne sur le Mexique en ces temps d'épidémie contagieuse et que le pays est devenu, malgré lui, une destination boycottée, j'ai choisi de vous faire voyager dans ses contrées, au travers d'un recueil de nouvelles d'auteurs mexicains, paru cette année chez Métailié, cette maison qui s'est déjà illustrée en nous dévoilant des panoramas étonnants, du Brésil à Cuba en passant par l'Amérique latine et un crochet au Portugal.

Cet ouvrage, qui est en fait, une réédition en format poche, nous offre un bien beau florilège de ce que la littérature contemporaine de ce pays peut nous offrir dans toute sa richesse, sa bouillonnante diversité actuelle, comme nous la présente François Gaudry, au cours d'une préface brève mais fort enrichissante. On apprend notamment que l'histoire tourmentée du pays( en particulier la guerre des Cristeros) a fortement secoué la littérature du pays. Parmi les auteurs profondément marqués par celle-ci, la figure de prou des lettres mexicaines, Juan Rulfo et son roman Pedro Paramo, a laissé une empreinte indélébile sur toute une génération d'écrivains. Si les terres mexicaines sont un creuset ethnique, sa littérature en est un témoignage convaincant. Difficile de faire mieux que François Gaudry pour condenser les impressions que laisse ce recueil:

"Il n'y a pas, semblent dire toutes ces voix qui font le pari de l'art de la fiction, UNE littérature mexicaine, mais des écrivains singuliers. Qu'ils s'expriment dans le registre de la satire, du réalisme, du fantastique, de la chronique, de l'humour; que leur univers romanesque soit noir, inquiétant, désespérant, corrosif, insolite, drôle; qu'ils s'éloignent de leur pays ou en scrutent les plaies, les grâces et les rêves, tous témoignent d'une relation unique avec le Mexique, ses dires, son histoire, son présent."
L'écriture de bon nombre de ces auteurs est âpre, concise, à l'image des terres arides du pays.
En toile de fond, souvent, on retrouve Mexico, ville tentaculaire, tumultueuse, dévorante, capable d'emprisonner les êtres et les âmes dans un chaos incommensurable.
A mon humble avis, le charme le plus profond et inhérent à ces auteurs, est leur faculté de savoir brouiller les pistes, en associant de façon audacieuse les genres, les plus radicalement opposés.

Nous retrouvons dans ce recueil des textes de tailles assez variables( de trois à trente pages) des noms qui pourront vous être familiers, et d'autres, méconnus hors des frontières du Mexique.
De bien belles surprises en perspective, comme Antonio Sarabia, avec La mousse sur la pierre.
Un jeune homme trouve les amourettes de ses camarades insipides et refuse de se prendre au jeu. Lasse de subir les sempiternelles moqueries de ses camarades, il décide de créer de toutes pièces une liaison imaginaire qui lui permettra d'interloquer ces derniers. La curiosité de ses copains ne pourra être comblée que par une inventivité toujours croissante. Une sorte de joute qui m'a régalé.

Mauricio Molina n'a jamais eu l'honneur d'être traduit en français. Pourtant, son texte La toile d'araignée démontre un savoir faire remarquable dans la mise en abyme. Il y est question d'un homme qui travaille dans une maison d'éditions. Un jour, il tombe sur un texte qui mine de rien, s'immisce dans sa vie de façon assez troublante. Un jeu de duperies très bien ficelé et qui laisse planer le mystère jusqu'au bout.
Ces nouvelles savent enfiévrer l'imagination du lecteur, en suivant la trajectoire d'artistes imaginaires, mais aussi parfois, en les associant à des artistes réels. Enrique Serna s'est fait remarqué en ce début d'année avec son roman Quand je serais roi (chez Métailié et traduit par François Gaudry). Ici, il nous propose une nouvelle intitulée Vanité, qui cache la portée morale de l'oeuvre. Un poète désespéré de trouver une certaine reconnaissance dans son art, reçoit un beau jour une réponse inattendue à une missive qu'il avait envoyée il y a fort longtemps à l'illustre poète Octavio Paz, dans laquelle il lui dévoilait sa dernière réalisation, Tir dans l'obscurité. Le caractère élogieux de la lettre l'incite à s'en servir pour obtenir un laissez-passer dans le cercle fermé de la littérature. Cadeau miraculeux ou cadeau empoisonné, telle est la question? Encore une fois, on ne s'ennuie pas une seconde. Une confusion insidieuse s'immisce dans l'esprit du lecteur, qui se demande s'il n'est pas en train de revivre des épisodes de la vie d'Octavio Paz.

Parmi les auteurs qui ne vous seront probablement pas si étrangers, nous avons droit entre autres à l'auteur de romans policiers Paco Ignacio Taibo II, Daniel Sada, Mario Bellatin, Ana Clavel(dont j'ai présenté Les violettes sont les fleurs du désir), David Toscana( auteur du génialissime El último lector), Guillermo Fadanelli et aussi Jorge Volpi.
Ce dernier nous offre une oeuvre, la plus longue du recueil, qui se démarque de l'ensemble. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une fiction mais, bien plutôt, d'une réflexion sur la légende de Don Quichotte, et l'influence maudite que ce personnage a eu sur les artistes qui ont voulu s'en emparer, tout particulièrement Orson Welles. On pénètre dans les dessous de la création avec un mystère entretenu de façon très subtile, qui donne lieu à une analyse poussée de la relation entre l'artiste et ses personnages. Un fort beau texte et remarquablement documenté.

Même si je ne peux pas parler un à un de ces textes, je vous invite chaleureusement à les découvrir au complet dans ce recueil globalement de fort belle facture.
32 auteurs, 32 portes d'entrée à la littérature d'un pays singulier et fascinant.