mardi 8 juillet 2008

Voyage à Visbecq: périple fantasmagorique au centre de la terre

Voici un OLNI , une oeuvre étonnante qui ne se refuse à aucune audace fantastique.
Un texte qui aurait pu rester oublié encore longtemps dans une librairie parisienne des bords de Seine. Grâce à la perspicacité des éditions Anacharsis, éditeur spécialiste des romans exotiques. Présenté comme "un voyage au centre de la terre inédit datant de la fin du XVIIIème siècle", ce Voyage à Visbecq anonyme invite le lecteur à s'abandonner à une rêverie "sans queue ni tête" que n'aurait pas renier Jonahtan Swift ni Jules Verne ni Lewis Caroll.

Débutant par une réflexion sur le cours du temps, le texte dévie rapidement de sa dimension philosophique pour s'envoyer sous terre dans un monde halluciné. Notre personnage-narrateur a un rendez-vous au château de Visbecq, rien de plus normal. Sur le trajet, notre personnage-narrateur décide se procurer une dose d'opium. Mais voilà que notre jeune homme force visiblement un peu trop sur la dose car il se bascule progressivement dans un monde complètement extraordinaire.
Ici-bas, les habitants ressemblent à des loups-garous et le décor ressemble par sa richesse aux splendeurs des milles et une nuits. Prisonnier incompris, notre personnage est condamné à entendre déclamer des chants par un poète omnibulé par sa muse. Une histoire déjantée de la couronne de Belgique défile devant lui.
Ce n'est que le début d'un voyage magique aux couleurs chatoyantes, aux touches orientales, au milieu de chèvres qui se transforment en arbre, de loups qui se transforment en serpent et de chars conduits par des griffons.

Mine de rien, on se laisse prendre au jeu de cet auteur belge et il est difficile de lâcher prise devant une telle féérie. L'écriture voltige avec volubilité dans ce monde incroyable; on évolue sur un rythme endiablé en terres inconnues, dans un monde noyé par des messages ésotériques.
L'un des charmes de cette lecture est ne nous faire confondre ce monde fantasmagorique avec la réalité dans un état de veille proche de celui du songe.
"L'essaim des songes, qui voltige autour de nous quand nous goûtons les douceurs du repos, est un présent que le ciel fit aux mortels pour leur faire sentir leur existence, jusqu'en ces moments mêmes où, sans eux, elle ne différerait pas de l'anéantissement."
C'est à un voyage souterrain hors-norme, exotique, surréaliste et vertigineux auquel nous invite cet anonyme belge.









  • A découvrir: Voyage à Visbecq publié aux éditions Anacharsis(2007) préfacé avec beaucoup de pertinence par Eric Lysoe.

lundi 7 juillet 2008

Les meilleures lectures de la saison 2007-2008

Voici l'heure de faire le bilan de mes lectures de la saison 2007-08. Pour que celui-ci aie un sens, j'ai du distinguer plusieurs classements:
-Meilleurs romans de l'année
-Meilleures romans lus pendant l'année
-Meilleures nouvelles
-Meilleure bande-dessinée
-Meilleures lectures hors-catégories

Souvent, cela a été délicat de composer un classement ferme et définitif. Parfois, certains titres se sont démarqués. La lecture pouvant marquer de mille et une manières, il est bien difficile de faire prévaloir certains sentiments à d'autres. Pourtant, il fallait faire un choix et j'ai fait celui de privilégier l'originalité et la qualité littéraire de l'oeuvre. Venons-en aux classements:


  • Meilleurs romans de l'année
1-L'Ami Butler de Jérôme Lafargue(Quidam Editeur)
2-Le Secret de Caspar Jacobi de Alberto Ongaro( Anarchasis)
3- A l'Ombre des humains de Lalier Walker (Atelier In8)

Pour celui-ci, je dois dire que c'était assez limpide. En effet, L'Ami Butler a été mon gros coup de coeur de l'année, que ce soit dans le thème ou dans la façon romanesque de l'aborder. D'ailleurs, depuis sa sortie, ce livre a été distingué par le prix Librairie Initiales et salué par la critique spécialisée. Quand on sait que ce coup de maître est aussi le coup d'essai de l'auteur dans le genre romanesque, on ne peut qu'être impatient de découvrir ce que Jérôme Lafargue nous réservera par la suite(à noter que vous pouvez déjà découvrir les Venues chez les éditions atelier in8, nouvelle parue en 2007).
Désolé cher Alberto de classer votre dernier roman derrière le premier "d'un jeune auteur" mais Jérôme Lafargue a fait très fort et Le Secret de Caspar Jacobi aurait peut-être été réhaussé d'une marche si je n'avais pas lu au préalable l'extraordinaire Taverne du doge Loredan.
Lalie Walker, avec A l'Ombre des humains, s'affirme comme une auteur de polar originale et dérangeante.
J'ai dû faire l'impasse sur certains titres qui auraient pu justement trouver une place sur ce podium. Je pense à l'une des grandes découvertes de l'année, Linda Lê et son In Memoriam,fil conducteur à travers les écrits d'un père décédé pour constituer sa mémoire.


  • Meilleures lectures de l'année
1-La Taverne du doge Loredan de Alberto Ongaro (Anarchasis/2007)
2-La fin des Temps de Haruki Murakami (Seuil/ 1992)*
3-La Partita de Alberto Ongaro(Editions Sylvie Messenger/1987)*
4-Le Pilon de Paul Désalmand (Quidam Editeur/ 2006)
5-L'Evangile du Crime de Linda Lê (Julliard/1999)*

*disponible en poche également

Je ne pouvais pas retenir moins de cinq titres sans me sentir frustré de faire honneur à mes lectures de l'année. Les titres d'Alberto Ongaro s'imposaient nettement aux plus hautes marches. On ne reviendra pas sur La Taverne du Doge qui constitue un chef-d'oeuvre injustement méconnu de la littérature. Un coup de génie décapant du roman à tiroirs. Après La Taverne, la Partita fait partie des incontournables du roman d'aventures, du vrai, de l'authentique.
La Fin des Temps de Murakami est l'oeuvre la plus marquante de l'inégale bibliographie de l'auteur,à mes yeux. Ici, on voyage insensiblement entre deux mondes. La mélancolie incomparable de Murakami n'a jamais été aussi bien transmise au lecteur que dans ce chef-d'oeuvre.
Qui mieux que Paul Désalmand aurait pu donner lieu à l'aventure d'un livre, de sa naissance à sa mort programmée? Une idée pour le moins originale, racontée avec beaucoup de verve et de culture.
Enfin, L'Evangile du crime n'a pas eu l'honneur d'un billet dans la taverne. Et pourtant, c'est une oeuvre remarquable, une sorte d'enquêtes croisées sur des personnages qui décident de se donner la mort. L'écriture chirurgicale de Linda Lê dissèque ses personnages de façon troublante et enivrante.


  • Meilleures nouvelles
1- La Mouche de Linda Lê extrait du recueil Autres jeux avec le feu(Christian Bourgeois/2002)
2- On ne peut pas continuer comme ça de Anne-Marie Garat( Atelier In8/2006)
3- Ma rencontre avec la fille cent pour cent parfaite de Haruki Murakami extrait du recueil l'Elephant s'évapore (Seuil/1993)

Ici, cela s'est avéré très délicat de faire un choix. Grâce aux éditions de l'atelier in8, j'ai découvert de bien belles nouvelles et j'aurais pu retenir bien d'autres titres de la collection "La porte à côté" comme le Lecteur de Patricia Martin-Deffrennes, Le Quai des neiges de Carlos Gastán ou Une Nuit à Madrid de Olivier Deck. J'aurais pu aussi retenir la nouvelle de Saki,La Fenêtre Ouverte au dénouement pour le moins surprenant.
La Mouche de Linda Lê réalise de façon merveilleuse ce qu'on peut faire avec l'écriture, un savant mélange de style, d'audace et d'imagination avant tout.
On ne peut pas continuer comme ça de A.M.Garat prouve que cette auteure confirmée du roman sait aussi écrire de bien belles nouvelles.
La nouvelle de Murakami est tellement savoureuse qu'elle mériterait un prix pour cela. Le titre en dit long et croyez-moi, le narrateur prend cette rencontre très au sérieux. On vit au ralenti la progression des sentiments qui l'envahissent avec un humour très...murakamien.


  • Meilleure bande-dessinée
Petite parenthèse hors-littérature car la BD fait aussi partie des lectures qui m'ont touché cette année.
Pour cette catégorie, j'avais le choix entre la saga Le Sommet des dieux de Jirô Taniguchi ou Le Journal de mon père du même Taniguchi.
C'est cette dernière oeuvre que j'ai retenue car elle réalise le tour de force d' immiscer chez le lecteur des sentiments rares pour ce genre d'oeuvres, comme la nostalgie. Un récit en partie auto-biographique qui met en scène un personnage revenant dans son village natale pour assister à la veillée funéraire de son père. A cette occasion et au contact des personnes qui l'ont connu, les souvenirs refont surface.


  • Hors-catégories
- Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry ( 1947 et 1987 pour l'édition Grasset)
-Ecrire est un miracle de Paul Désalman (éditions Bérinice/2003)

Ici, pas d'ordre retenu car comment comparer des oeuvres inclassables, des monuments comme Au-Dessous du Volcan de Malcolm Lowry? Une descente aux enfers pesante, troublante pour laquelle l'auteur s'est permis toutes les audaces pour faire percevoir au lecteur les effets de l'alcool, autres impressions et perceptions personnelles, et d'annoncer le drame qui se joue. Même si certaines parties m'ont échappé, j'ai conscience que cette oeuvre mérite plus d'une relecture pour en saisir tout le charme et la teneur diabolique. J'espère pouvoir avoir un jour plus de clés en mains pour être armé afin de chroniquer ce livre monumental dont on ne sort pas indemme.
Ecrire est un miracle est un ensemble disparate de chroniques, lettres et autres billets d'humeur qui gravitent autour du thème de l'écriture. Paul Désalmand fait ici prévaloir son écriture débridée et pour le moins désopilante Fort de son expérience dans les différentes professions de l'édition et d'une grande culture, il fait partager des tranches de vie littéraire savoureuses.

Pour conclure ce bilan, j'aimerais remercier tous les auteurs qui m'ont fait vibré cette année et ceux qui ont répondu à mon appel(merci tout particulier à Alberto Ongaro). Je suis vraiment ravi des échanges insoupçonnés que ces lectures m'ont permis d'avoir.
J'espère sincèrement que l'année suivante sera aussi riche en lecture et en plaisir de partager autour d'elle...

Réagissez par le biais d'un commentaire en faisant partager vos lectures les plus marquantes de la saison 2007-2008.

dimanche 6 juillet 2008

On ne peut pas continuer comme ça de Anne-Marie Garat, un bijou de nouvelle

Décidément, la confidentielle maison d'édition atelier in8 a retenu toute mon attention ces derniers temps. Cela continue avec l'une de mes dernières lectures de la saison 2007-2008, la nouvelle On ne peut pas continuer comme ça de Anne-Marie Garat, qui n'en est pas à son coup d'essai puisqu'elle a déjà écrit pas moins de quatorze romans dont les très remarqués Dans la main du diable(2006) et L'enfant des ténèbres(2008), romans-fleuves à tiroirs, paru tous deux chez Actes-Sud. Toujours est-il que par manque de temps et par souci de retenir le plus marquant, j'ai passé sous silence la qualité des deux autres nouvelles de la collection "porte à côté", à savoir Une nuit à Madrid de Olivier Deck et Le Quai de Neige de Carlos Gastán, nouvelles intimistes se caractérisant aussi par une ambiance hors-norme.

La nouvelle de Garat prend place près d'une station-essence délabrée devant laquelle s'arrête le personnage principal. En effet, exceptionnellement, celui-ci a décidé de prendre son temps et de profiter de l'occasion pour changer de trajet en empruntant les petites routes de campagne.
La qualité principale du récit est d'installer une ambiance de solitude et contemplative:

"Je suis descendu. La portière s'est refermée derrière moi doucement, un bruit très paisible. Rien sur la route, à droite, à gauche, aussi loin qu'on pouvait voir, le désert, le silence. En face, la station. Et moi, tout seul. Il y avait longtemps que je ne m'étais pas senti aussi seul, tranquille, en ma seule compagnie. Longtemps que je ne m'étais pas arrêté d'un coup quelque part, pour rien. J'avais tout mon temps. "

Les descriptions minutieuses et pittoresques des lieux accentuent la désolation qui règne et l'impression d'abandon que doit ressentir cet homme. La qualité de celles-ci fait parfois songer à celles de Jean Giono (L'homme qui plantait des arbres notamment)tant l'auteur excelle dans ce domaine.
On sait que Garat est aussi une cinéaste et on s'en rend compte dans la faculté de rendre palpable l'environnement visuel mais aussi sonore.
Le rythme est d'une grande fluidité, alimenté par quelques bribes de souvenirs qui permettent au lecteur de comprendre l'état d'esprit du personnage qu'il a devant les yeux et l'origine du titre énigmatique de la nouvelle.

A la fois près de chez lui mais en même temps si distant, le monde que le personnage a sous les yeux nous invite à un voyage intemporel, à la lisière d'une autre vie.
On plonge avec le personnage dans une brèche vers un monde méconnaissable, au charme irrésistible. Difficile de s'extirper des pages de cette nouvelle sans en avoir découvert le dénouement, troublant.

Une pièce maîtresse de la nouvelle, assurément.





  • A découvrir: On ne peut pas continuer comme ça de Anne-Marie Garat, paru aux éditions atelier in8 en 2006(collection La porte à côté).





P.S.: merci tout particulier à Josée Guellil de la maison atelier in8 qui m'a permis de découvrir cette oeuvre très attachante.

vendredi 4 juillet 2008

Etrange coïncidence : le lecteur signée Patricia Martin-Deffrennes

Certains ont des crises de nerf, crises d'angoisse, ou bien des crises de rangement. Pour ma part, les plus fréquentes que je connaisse sont des crises de curiosité. Elles arrivent sans crier gare au hasard de mes pérégrinations sur la toile. Je recherche quelque chose d'anodin: un horaire de train, le numéro de téléphone de mon dentiste, les horaires d'ouverture du chateau d'à côté... et je tombe comme par enchantement sur un blog qui évoque un texte intriguant. Incroyable, ce texte renvoie lui-même à un autre texte qui m'intrigue encore plus. Bien sûr, ma curiosité me pousse à cliquer sur ce lien. Erreur fatale! Direction alapage.Je rajoute deux articles à mon panier. Beurk!! La connotation commerciale écoeurante à mon goût de cet acte m'a décidé de passer mon chemin et de commander ces deux livres directement auprès de la maison d'édition d'où proviennent les deux curiosités, la remarquable maison atelier in8 qui défend corps et âme une idée de la littérature authentique, grâce à un catalogue original mettant en avant des auteurs français de caractère, méconnus, et au travers d'une thématique originale dont la partie nouvelles prépondérante a retenu mon attention.

La découverte du texte de Patricia Martin-Deffrennes, Le Lecteur, m'a enchanté.
Avant tout par l'idée de départ. Celle d'un parallèle effectuée entre la vie d'un personnage-narrateur et les romans d'un auteur méconnu. L'auteur met en avant une idée qui m'est chère, à savoir que le degré d'immersion dans un récit est bien souvent proportionnel au degré de proximité qui unit le lecteur au personnage principal du récit qu'il a sous les yeux.
Ici, je dois dire que je me reconnais à deux niveaux à Thomas Besson. Non pas par le fait qu'il vient de découvrir que son épouse "n'est pas seulement aimante de son mari". Litote savoureuse s'il en est pour suggérer une situation dans laquelle on ne doit pas maitriser les tournures littéraires de la même façon. Non, je me suis identifié au personnage par sa voracité maladive des livres qui l'envahit suite à ce facheux événement.
Important s'il en est pour un livre de ce format, Patricia Martin-Deffrennes installe d'emblée l'ambiance du récit:
"Il paraît qu'il y a des livres qui sauvent...
Je crois pouvoir dire aujourd'hui que je ne les ai pas rencontrés. Ce n'est pourtant pas faute de les avoir cherchés. J'étais ce qu'on appelle un gros lecteur, dévorant tout, du journal local à l'oeuvre littéraire réputée difficile, en passant par la bande dessinée et le polar.
C'était avant.
Dans une autre vie, serais-je tenté de dire avec le soupçon d'humour noir qu'il me reste.
Une autre vie..."
Mené tambour batant, on dévore les pages de ce récit comme le lecteur du livre.
La suite du récit associant de façon troublante Thomas Besson et T.W. Twin ne laisse aucun répit au lecteur. Elle m'a rappelé par certains aspects l'histoire de Jérôme Lafargue entre Timon Lunoilis et Owen W.Butler dans son merveilleux roman L'Ami Butler.
L'écriture alerte, sans fioritures, et focalisée sur un seul personnage participe grandement au rythme soutenu de la nouvelle dont le récit s'étale pourtant sur plusieurs années.

Une nouvelle passionnante dont la portée littéraire est bien plus grande que le nombre de pages qu'elle contient( moins d'une vingtaine). C'est aussi une porte ouverte vers d'autres ouvrages comme La pluie Jaune de J.Llamazares ou La mort d'Artemio Cruz de C.Fuentes.
Evocations troublantes pour le lecteur qui s'apparentent à celui que connait ce dernier à la lecture de l'Ami Butler lorsque les romans et les auteurs réels cotoient les livres et auteurs imaginaires, à moins que ce ne soit l'inverse...

Confusion pénétrante, voyage à la frontière des mondes, la nouvelle Le Lecteur est envoutante et mérite bien plus qu'un détour sur la toile.



  • A découvrir: Patricia Martin-Deffrennes, Le lecteur dans la collection Porte à Côté des éditions atelier in8.