mardi 10 juin 2008

A l'ombre des humains, de Lalie Walker, polar onirique


Enfin! Après de longues journées pénibles qui expliquent le rythme de publication de ce blog, je suis enfin à mon nouveau domicile. Ici, le calme bucolique a remplacé l'agitation urbaine au bord d'une rivière qui plonge doucement dans le lac léman. Ahhhh, le bonheur avec la montagne toute proche. Fin de la parenthèse personnelle.


Je ne suis guère friand du genre polar à l'accoutumée. Probablement à cause de la redondance des scénarios. Pourtant, un article de Anne-Sophie Démonchy sur son blog la lettrine a su attiré mon attention sur l'un d'entre eux, A l'ombre des humains, de Lalie Walker, un pseudo anglo-saxon qui signifie- apprend-t-on à la fin du livre- "celle qui marche ses rêves".

Le récit débute par un rêve, spécialité de l'auteur, dans lequel Frank Albertini tente désespérément de rejoindre sa femme, Jeanne Debords(personnage récurrent de l'auteur) disparue mystérieusement voilà un an. C'est un ex-inspecteur de police qui a raccroché depuis ce triste événement. Pourtant, de troublants crimes vont l'obliger à reprendre de l'activité dans une petite bourgade côtière, irréelle, dominée par d'immenses plaines grisâtres, balayée par des tornades démesurées. Les habitants ressemblent à des pantins bien disciplinés, dénués de souvenirs, dirigés par l'implacable Guillaume Carsov, dont la femme vient de subir un crime atroce. La folie semble s'être immiscée au sein de l'un de ces troublants êtres humains.

Le roman de Lalie Walker se caractérise avant tout par une ambiance onirique qu'elle réussit à mettre en place de façon envoutante. Au fil de pages et de la découverte de personnages évanescents au passé tourmenté, on se laisse happé par un monde pour le moins inquiétant, que n'aurait pas renié David Lynch (on pense à la série Twin Peaks). Ne s'attardant guère sur les situations, la narration morcelée de l'auteur renforce l'impression d'irréalité qui plane au-dessus de ce brouillard ambiant. Ici, le présent se dérobe à la logique et c'est dans les nombreux flash-back des personnages qu'il semble falloir se raccrocher pour déceler l'origine de ces sombres crimes. Les obsessions psychologiques des personnage(en tête, du côté d'Albertini, la disparition de Jeanne Debords) s'immiscent dans la narration pour déranger encore un peu plus le lecteur.
Même la brutalité de certains dialogues (des chasseurs de tornades notamment) ou de certaines pensées se heurte souvent de plein fouet au chapitre suivant à l'immatérialité de ce monde hors normes. Ici, tout ne semble qu'illusion.
Comment ne pas évoquer ce refrain macabre "Death is on the road but also love" , qui revient inlassablement et dont le rythme lancinant évoque le mythique "No se puede vivir sin amor" de Sous le Volcan, de Malcolm Lowry? Hymne à la déchéance programmée, le récit suit une courbe imprévisible dont on devine seulement la cruauté inéluctable.
Et si la clé du mystère se situait dans les passages les plus insaisissables dont ni l'auteur des propos ni le destinataire nous sont connus:

(...)"Nous avons parfois l'impression de vivre un rêve en provenance des royaumes obscurs. Nous ne sommes pas dupes, mon ange, ce n'est qu'une impression et, pourtant, plus réelle qu'un mirage. C'est une sensation aussi puissante que fugace, et qu'il nous faut tenir à pleines mains, sinon elle glisse et se dérobe comme un songe au petit matin. Mais où, mon ange, où s'enfuit-elle donc, qu'il nous faille encore et toujours recommencer?
Nous connaissons l'intense jubilation qu'il y a à se tenir incognito au coeur du drame, une perception proche de la jouissance sexuelle, ou de l'illumination."(...)

Ici, là bas, la brume est dense, très tenace mais finira-t-elle par se dissoudre un jour?


  • La réponse dans le livre de Lalie Walker, A l'ombre des humains, paru en 2008 aux très bonnes éditions ateliers in8, dans la collection "noire de Pau".





lundi 2 juin 2008

Lettre à Paul Désalmand, suite à la lecture d'Ecrire est un miracle

Cher M.Désalmand,


A l'heure qu'il est, je me suis armé d'un bloc de feuillets et d'une plume (vulgaire stylo en réalité mais cela fait plus romanesque) pour me rapprocher des écrivains de jadis qui avaient recours à ces instruments obsolètes pour exprimer leur art.
A la lecture d'un tel prologue, vous risquez de vous interroger sur les raisons qui motivent une telle approche. Eh bien, je dois dire que c'est la lecture de votre livre Ecrire est un miracle qui a fait naître chez moi cette envie démodée. Pour clore ce préambule-déjà bien assez long- je dirai, que bien que je l'espère intimement, je ne peux guère savoir si cette missive vous parviendra d'une façon ou d'une autre car j'ai décidé de la publier sur mon blog et de jeter la lettre.

Trêve de bavardage, vous n'en êtes point friand, je crois savoir! Il est temps pour moi de rentrer dans le vif du sujet.
De prime abord, en consacrant deux parties (un bon tiers du livre) à lancer des pointes-tour à tour aux éditeurs et aux auteurs- on peut être sceptique quant à l'intérêt que vous allez suscitez chez le lecteur. Pourtant, vous le faites avant tout pour défendre votre amour pour la littérature, avec un talent de correspondant de choix, un sarcasme délectable (association improbable qui devient possible sous votre plume) et une érudition de tous les instants dont vous servez de bien juste manière pour illustrer vos propos.
Force est de constater qu'à plusieurs reprises déjà, je viens d'avoir recours à des adjectifs se rapportant au monde culinaire. A mes yeux, vous faites partie de ces rares auteurs dont l'écriture est tellement succulente qu'il n'est nullement besoin de rajouter la moindre once de vinaigre à l'intérieur.
Vous devinerez aisément le caractère élogieux de cette remarque en sachant qu’elle fait suite à la lecture de votre ouvrage.
Etant moi-même (fort médiocre) écrivain en herbe, j'ai lu avec beaucoup d'attention la première partie de votre livre, intitulée A ceux qui rêvent d'écrire un livre, dans laquelle vous avez une correspondance avec de jeunes écrivains (reprise en partie de revues). Vous y dispensez, me semble-t-il, avec beaucoup d'à-propos, des conseils éloquents sur les principes de base de l'écriture s'apparentant à de la zoophilie (Vous risquez par la même occasion de subir les attaques des associations de protection d'animaux). Par exemple, le principe du mouton admet qu'il ne faut pas, dans les premiers temps, avoir peur d'emprunter aux auteurs pour se forger son propre style.
De plus, vous mettez en garde contre les pièges à éviter que ce soit en termes de contenu(ah tous ces écrivains qui parlent de leur maladie...), de techniques ou de conditions de créations pour créer, en disant notamment :
"Inutile de fuir le monde. Il te rattrape au coin du bois."
Cependant, vous insistez sur la primauté de l'écriture sur toutes les autres activités pour l'écrivain en citant Flaubert:
"Ecrire est une façon de vivre. En d'autres termes, celui qui fait sienne cette belle et absorbante vocation n'écrit pas pour vivre mais vit pour écrire."
Dire que vos citations sont pertinentes serait un doux euphémisme. A ce sujet, revenons sur la dernière partie de votre livre, intitulée œil-de-bœuf sur le paradis (encore une illusion animalière qui me fait penser que votre livre justifierait un décompte à ce sujet!). Votre éloge de la citation m'a pleinement convaincue, d'autant que votre livre dans son ensemble en constitue le meilleur plaidoyer qui soit en sa faveur.
Je m'arrêterai aussi un instant sur cette lettre, à l'ironie savamment distillée, adressée au président de la République, suite à l'une de ses interventions télévisées, pour le remercier d'avoir passé une "soirée parfaite" à la relecture de Gatsby le Magnifique de S.Fitzgerald, car vous n’avez point eu à subir le moindre dérangement au cours de celle-ci.

Je m'attarde, je m'attarde et je n'ai toujours pas encore évoqué la partie "romanesque" de votre ouvrage intitulée aventures plus ou moins livresques. Ayant lu votre merveilleux Le Pilon qui est une aventure parfaitement et remarquablement livresque (sur laquelle je reviens aussi sur mon blog), je suis resté quelque peu sur ma faim avec ces aventures malheureusement plus ou moins passionnantes. Je sais que vous ne me voudrez pas d'émettre quelques petites réserves à votre ouvrage.
Toutefois, le seul récit fictionnel du livre "un mot de trop"(des montagnards qui se retrouvent bloquer dans un refuge de haute-montagne) mérite à lui seul de ne pas abandonner cette partie, non pas tant pour ce récit en lui-même mais bien plutôt pour le formidable plaidoyer qui suit contre l'accusation de plagiat qui pourrait vous arriver. Loin de nier vos références, vous les assumez pleinement en clamant haut et fort que l'inspiration est essentielle pour l'écrivain. S'inscrit en filigrane l'une de vos phrases précédentes selon laquelle "tous les grands auteurs ont été de grands lecteurs".

En tant que passionné et acteur à différentes échelles de la "littérature artisanale", vous la défendez mots et âme en n'oubliant point les professions de l'ombre, comme petit éditeur ou de plus en plus précaires, comme petit libraire indépendant, des métiers que vous avez déjà exercés par le passé. Vous n'hésitez pas à dénoncer, avec votre charme coutumier et sans le moindre mépris, les profanateurs de cet univers en péril.
M.Désalmand, vous prouvez une fois encore, avec cette illustre défense, que vous auriez pu faire un excellent avocat.
D'ailleurs, rarement prologue à un livre n'aura été mieux choisi pour traduire vos propos:
"La littérature m'a toujours depuis les Illuminations donné cette impression qu'il y avait un incendie quelque part, partout, et qu'il me fallait l'éteindre. Et c'est sans doute pourquoi, même vis -à-vis des plus calculés, des plus médiocres, des plus cyniques, des plus vulgaires, des plus sots et des plus habiles écrivains, vifs ou morts, je n'ai jamais pu éprouvé un mépris complet. Je sais qu'ils ont entendu ce tocsin un jour et que de temps en temps, malgré eux, ils courent désespérément vers le feu et qu'ils s'y brûlent en titubant autour aussi gravement que ceux qui s'y jettent."
Ces mots sont de F.Sagan mais pourraient tout aussi bien provenir de votre plume. Je vous par avance bondir mais je le pense intimement.

Vous l'avez compris, j'ai dévoré, non- que dis-je- j'ai dégusté votre livre et reprendrai sans aucun doute, plaisir à le refaire.
L'avantage dont la littérature bénéficie par rapport à la cuisine, est que l'on peut, sans réserve aucune, indéfiniment savourer les mets les plus délicieux.

Cher M.Désalmand, après cette lecture, je reconnais éprouver une irrésistible pulsion vers l'écriture. Si, par malheur, je venais à accoucher de navets littéraires, je pourrais, un jour ou l'autre, vous porter accusation d'en avoir eu une influence quelconque.
Cependant, j'ai l'intime conviction qu'écrire est déjà un miracle en soit, celui de faire vivre au-delà des siècles et des frontières nos sentiments, nos illusions, nos mondes imaginaires et nos amours éphémères. Un monde sans limites qui s'ouvre à celui qui croit à ses pouvoirs infinis.

Meilleures salutations,

Un modeste bloggeur.




  • Vous pouvez découvrir sans sourciller Ecrire est un miracle, paru aux éditions Bérénice en 2003.
  • La critique de sitartmag.