mardi 29 janvier 2008

QUESTION D'INSPIRATION

Il m’arrive parfois de me demander quelle est l’origine de l’inspiration. Qu’est-ce qui fait qu’à certaines moments, une déferlante d’idées nous submerge tandis qu’à d’autres, nous souffrons d’une aridité désespérante que rien ne peut annihiler ?

Parfois, je me dis que celle-ci est d’ordre magique, quelque chose d’inexplicable, du moins en apparence. Victor Hugo disait à ce sujet : « Une idée est un météore », comme tombé du ciel.
N’est-il pas cependant trop convenu de se contenter d’une cause surnaturelle à tout ce qui nous échappe(comme la Création divine), nous, simples créatures mortelles ?

Pour contrecarrer l’idée bien romantique de l’inspiration proche de la grâce, on pourrait citer Jean Anouilh :

"Le talent est comme un robinet. Quand il est ouvert, on peut écrire. L'inspiration est une farce que les poètes ont inventée pour se donner de l'importance."
Certes, on pourrait alors supputer l’idée d’un monde dans lequel viendrait butiner tous les cerveaux de l’univers. Un lieu mystérieux qui s’apparenterait à l’étage supérieur de la noosphère, accessible seulement aux esprits les plus imaginatifs, perturbés par nulle entrave ; qui pourrait ressembler en quelque sorte au mythe de la caverne évoqué par Socrate dans la République de Platon.
Maintenant, il serait bien délicat d’affirmer si la collecte se fait de manière instantanée ou bien par réminiscence, comme chez le philosophe grec.
Cette idée est susceptible de déranger l’égo scrupuleux des artistes car elle invite à penser que l’origine de l’inspiration est commune à tous. Ainsi, comment oserait-on s’approprier les idées qu’on croyait sienne dans la mesure ou elle a été cueillie comme on arrache une fleur d’un champ ?

Par ailleurs, on peut se demander de quelles façons peut-on se connecter à ce monde insaisissable ? En rêvant, en étant à l’écoute de l’univers, ou en prenant des substances illicites comme certains poètes du Xxème siècle (bien que je ne recommande pas cet usage dont les effets ne sont pas tous de la même nature) ? Si les songes, par exemple, sont propices aux visions, à l’inspiration, c’est très probablement car ceux-ci sont dominés par l’hémisphère droit de notre cerveau et donc libérés de la rigidité de celui-ci. Ainsi, les courants d’inspiration semblent s’effectuer dans un mouvement proche de celui d’une fuite, de l’escapade. C’est pourquoi les plus grands visionnaires sont bien souvent aussi les personnes les plus déconnectées de la réalité.

D’ailleurs, sommes-nous égaux devant l’inspiration ? La faculté de se libérer du côté terre-à-terre de notre existence pour aller puiser ce qu’il y a de plus imperceptible est-il donné à tout le monde ? Car, si concernant le talent de la reconstitution artistique de l’inspiration, d’animer celle-ci, il apparaît que cela s’apparente à un don( qui s’exerce, il est vrai), il est bien loin d’être évident que ce soit de même dans le cas de l’inspiration. Et pourtant, la confirmation de l’une de ces hypothèses pourraient donner la clé de l’énigme. Si nous sommes comme touchés par la grâce, nous sommes passifs face à l’inspiration ; nous la subissons d’une certaine manière. Par contre, inversement, si nous allons la chercher au plus profond de nous-même, c’est nous qui sommes actifs.

Toujours est-il qu’après des siècles et des siècles de création artistique, le mystère plane toujours tandis que les artistes continuent à voltiger au-dessus de ces soucis scientifiques.

lundi 21 janvier 2008

DIALOGUE AVEC Alberto ONGARO




Après avoir lu son livre La Taverne du Doge Loredan, je voulais en savoir un peu plus sur l'écrivain Alberto Ongaro C'est très naturellement et gentiment qu'il a accepté de donner suite à mes questions à propos de sa vie et de son oeuvre.
Merci à lui pour son aimable collaboration.

Monsieur Ongaro, vous êtes très peu connu en France. C’est avant tout votre carrière dans le monde de la bande-dessinée qui est reconnue. D’ailleurs, voici le maigre article qui vous est consacré sur wikipedia . "Alberto Ungaro est un scénariste italien. Avec Hugo Pratt et Dino Battaglia , il est l'auteur des bandes dessinées Junglemen et l'As de Pique." Point.
Cela a le mérite d'être concis. En tant que romancier, vous êtes surtout connu pour la biographie romancée que vous avez faites de votre compère et ami Hugo Pratt, intitulée Une Vie d’Aventures. Pouvez-vous me dire quelques mots sur votre vie et surtout votre rapport à l'écriture?

Alberto Ongaro: Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas très connu en France. Apres la publication à Paris de La Partita(le livre qui a obtenu en Italie le prix Campiello), j'ai reçu plusieurs critiques, toutes très bonnes, dont une du journal Le Monde. Il est arrivé la même chose pour “Une vie d'aventure”. Peut-être depuis m'avait-on oublié. Cependant quelque part en France, j'ai vu apparaître mon nom associé aux titres professionnels de scénariste, grand reporter, romancier, membre du fameux groupe de Venise.

J'ai toujours écrit. Je ne sais pas si vous savez qu'après la guerre moi, Hugo Pratt, Mario Faustinelli, Giorgio Bellaviti(le groupe de Venise) avons fondé un magazine de bandes-dessinées appelé “l'asso di Picche”. Je projetais de devenir scénariste de cinéma et je considérais les bandes-dessinées comme une parfaite école pour apprendre le métier. Mais notre revue a été rachetée par la plus grande maison d'édition d'Amérique du sud qui nous a amenés à Buenos aires avec des contrats de travail fantastiques. J'ai vécu sept années à Buenos aires; cette période a été caractérisée par une extraordinaire vitalité, créativité et joie de vivre. Notre maison, un chalet à Acassuso, un quartier près du Rio de la Plata est bientôt devenu un lieu de rencontres, de fêtes dont les gens se rappellent encore. A buenos aires, j'ai commencé à être journaliste correspondant, ma seconde option après le cinéma.

Quand je suis retourné en Italie, pour des vacances, j'ai réalisé que j'avais perdu contact avec la réalité de mon pays et j'ai décidé immédiatement de ne pas retourner à Buenos Aires. J'ai trouvé facilement du travail en tant que journaliste à l'agence de press Ansa-united Press (services étrangers) et, pendant trois ans, on m'a permis de travailler en Europe au plus grand hebdomadaire italien de l'époque. J'y suis resté 19 ans comme envoyé spécial, correspondant à l'étranger. Dans la premier moitié de cette période, j'ai écrit mes premiers livres Il complice et Un romanzo d'avventura, le premier traduit dans plusieurs pays dont les Etats-Unis, le second seulement en France. Ce livre, la vie romancée d’Hugo Pratt et du groupe de Venise, sera réédité en Italie en octobre prochain.


Ma première surprise, après avoir lu un roman aussi merveilleux que La Taverne du Doge Loredan datant de plus trente ans, c’est de savoir qu’il avait pu passer inaperçu aussi longtemps et qu’il n’avait jamais eu l’honneur d’une traduction française jusqu’à cette année. Pour le coup, votre livre aurait pu être aussi ce fameux manuscrit poussiéreux traînant au-dessus d’une armoire d’un éditeur français.


A.O.:Au milieu de l'année 1975, on m'a envoyé à Londres, comme correspondant. A Londres, j'ai écrit La taverna qui est sorti en Italie en 1980 pour Mondadori. Le livre a reçu des critiques extraordinaires mais s'est très mal vendu. Quelqu'un a alors dit que La Taverne était trop en avance sur son temps par rapport aux thèmes classiques de la littérature italienne D'autres disent maintenant qu'il est toujours trop avancé sur son temps, même si désormais, il s'est beaucoup vendu.


Pour moi, il recèle tous les ingrédients d’un chef-d’œuvre de la littérature : personnages charismatiques, aventure, humour débridé, langage élégant et surtout une intrigue très mystérieuse qui est la clé de voûte du récit. Même si vous mettez en scène des situations éculées (scènes érotiques, duels à l’épée, course-poursuites…), vos trouvailles sans cesse renouvelées permettent au lecteur de ne pas avoir l’impression d’être devant des clichés. Par exemple, dans un contexte érotique ou il est facile de tomber dans la vulgarité, vous réalisez la prouesse d'élaborer des passages d’une très grande subtilité en usant d’un langage précieux, savoureux et de métaphores délectables. J’ai trouvé l’une d’entre elles absolument géniale : celle de Jacob Flint aiguillé par son sexe comme par une boussole.
Le plus génial si j'ose dire dans votre livre, c'est l'ingéniosité avec laquelle vous créez une confusion entre le lecteur, le narrateur et les personnages. Ceux-ci sont tous interconnectés et certains d'entre eux deviennent presque interchangeables au fil du récit. Quelques-uns m'ont fait penser à des réminiscences, à des apparitions évanescentes, à des fantômes, tout particulièrement la femme au manteau à poil de chameau et Paso Doble. Est-ce un hasard si le mot "double" est contenu dans le nom de l'alter ego de Schulz? Pour moi, Paso Doble est un personnage "prétexte" à un dialogue imaginaire et romancé pour rythmer le récit. Est-ce que je me trompe ?

A.O.:L'idée du sexe-aiguille d'une boussole est née d'une étincelle de l'imagination, comme tout le reste, les métaphores, le moine, la femme de cire. D'ailleurs, comme Paso Doble qui n'existe pas et qui est un prétexte pour éviter la monotonie du monologue intérieur; disons que Paso Doble est Schulz qui discute avec lui-même.

Ce qui m'a le plus fasciné probablement, c'est que vous semblez présenter le lecteur non comme un pantin passif mais plutôt comme un acteur à part entière du récit qu'il est en train de vivre, comme si l'histoire qu'il est en train de découvrir est un peu celle qu'il se plaît à imaginer. Est-ce aussi l'idée que vous aviez en tête?

A.O.: Je vous donne la clé du livre dont peu de critiques se sont aperçu. La taverne n'est pas l'histoire d'un homme qui trouve un livre sur une armoire, le lit et l'aime au point de se transformer en l'un des personnages de l'histoire qu'il lit. La Taverne est l'histoire d'un livre placé à la fin du siècle XVIIIe siècle et qui recèle un personnage moderne transporté dans le passé. Le livre que Schulz trouve sur l'armoire est le même livre dont lui même fait part.*

En parlant de votre récit, je dirais qu'il est littéralement labyrinthique et qu'il s'apparente à la ville de Venise qui est le centre névralgique du récit. C'est aussi une ville qui est vous chère, me semble-t-il? On se perd avec bonheur dans les pages de cette aventure intrigante comme on se perd avec plaisir dans les ruelles du joyau de l'Adriatique. Cette ville ne ressemble à nulle autre. On a comme l'impression que certaines scènes ne pourraient pas se dérouler ailleurs sans être dénaturées. A ce sujet, Venise est un carrefour culturel qui renvoie irrémédiablement au passé de par sa structure, ses monuments chargés d'histoire et sa circulation limitée aux moyens pédestre et fluvial. Un passé prépondérant puisqu'il constitue le fil conducteur du récit.
D'ailleurs, par sa dimension nostalgique, par son regard extérieur porté à un siècle proche de nous en réalité mais en même temps si lointain dans la vie de tous les jours, votre livre évoque pour moi La Lenteur de Milan Kundera.

Parlons inspirations; vous citez volontiers le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Potocki qui est en quelque sorte l'ancêtre, le monument du roman à tiroirs et dont vous vous faites un plus que digne successeur.

A.O.: Les livres que j'ai le plus aimés: Le Grand Meaulnes de Alain Fournier, Les Cahiers de Malte de Rilke, les œuvres de Conrad, Stevenson, Dostoïevski, Melville, Lowry, Nabokov. Je n'ai pas lu La Lenteur de Kundera et je crois que pendant l'élaboration de la Taverne, Kundera était encore méconnu.

Je viens de relire votre livre pour élaborer ce texte et je me suis rendu compte de certains détails. J'ai l'impression qu'ils représentent des ruses volontaires. En effet, dans la quasi-totalité des livres, nous avons certains points de repère immuables comme le titre au-dessus de chaque page et des chapitres numérotés, l'omission des guillemets pendant les dialogues entre Schultz et Paso Doble. J'ai ressenti ça comme une prolongation subtile de l'originalité narrative de votre œuvre.

D'autre part, le monsieur à la fenêtre évoqué à la toute fin de celle-ci m'a fait inévitablement pensé à vous-même en train de l'élaborer. Je me suis dit que c'est en observant les gens vagabonder dans la rue que vous avez conçu de fil en aiguille ce récit. Pouvez-vous me parler de la genèse de cette incroyable histoire?

A.O.: Ainsi, j'ai écrit la taverne à Londres mais l'idée est née au Mexique. Pendant un voyage de travail, j'ai décidé de faire un pèlerinage à Cuernavaca où se trouvait un des livres que j'ai beaucoup aimé, En-dessous du Volcan de Malcolm Lowry dont l'histoire se déroule le 2 novembre, le Jour des Morts. Sans m'en rendre compte (et poussé par ma relation profonde avec ce livre) , j'arrive à Cuernavaca le jour des morts et j'ai la sensation d'être entré dans le livre que j'aime tant. De là est né l'idée du livre constituant un lieu duquel on peut entrer et sortir. C'est la première graine de La taverne.

J'ai eu beaucoup de mal à avoir plus d'informations en français sur le web au sujet de votre œuvre en général. Cependant, grâce aux éditons Anarchasis , j'ai appris qu'ils allaient publier le 19 avril prochain un autre de vos ouvrages, intitulé Le Secret de Caspar Jacobi, la dernière de vos œuvres. Votre bibliographie recèlerait-elle d'autres pièces d'une valeur inestimable?

A.O.: En fait, j'ai un projet en tête mais il est encore très vague.

Je vous remercie infiniment Monsieur Ongaro. Quoiqu'il en soit, merci pour votre contribution à l'amour que je porte à la littérature et sa magie.


LE JARDIN SECRET DE STEPHEN KING

Certains auteurs sont archi-connus mais, curieusement, certains bijoux de leur bibliographie demeurent, hélas, à l’ombre de leurs best-sellers.
C’est le cas de Vue Imprenable sur Jardin Secret, une longue nouvelle de Stephen King datant de 1986 ?) dont il est fait allusion dans le merveilleux L’Ami Butler de Jerôme Lafargue dont j’ai fait l’éloge sur ce blog. Ainsi wikipedia, « la bible du web » n’en fait même pas allusion dans l’article qui est consacré à l’auteur américain.
Pourtant, depuis, celle-ci a eu l’honneur d’une adaptation cinématographique (2004) signée David Koepp et dans lequel figure la star Johnny Depp. Cependant, je doute qu’elle puisse faire honneur à ce petit chef-d’œuvre.

Morton Rainey est un écrivain reconnu qui vient de divorcer après avoir découvert dans un motel l’adultère de sa femme. Depuis, il s’est installé dans l’ancienne résidence secondaire du couple au bord d’un lac. Il s’apprête à vivre des jours paisibles. Seulement voilà, un jour, il est surpris par l’apparition d’un quadragénaire, affublé d’un chapeau noir caractéristique, au visage qui accuse le coup d’années difficiles et à l’accent campagnard horripilant. C’est avec consternation que Morton reçoit de la part de ce dernier une accusation de plagiat. En effet, le mystérieux intrus l’accuse ouvertement de lui avoir volé l’une de ses œuvres. Morton n’en revient pas. Pourtant, derrière sa porte, gît le manuscrit qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la nouvelle écrite par ses propres mains. La nouvelle porte le titre de Vue Imprenable sur jardin secret. Le nom de l’auteur et de celui qui, inlassablement, résonnera comme un écho au cours du récit, lui qui ne cessera alors de le tourmenter, de le traquer, de le menacer, John Shooter.

Stephen King plante le décor de sa nouvelle de façon magistrale. Et de bout en bout, il se plaît à mener en bateau le lecteur avide de connaître le fin mot de l’histoire. On pénètre la psychologie tourmentée d’un écrivain, désireux de défendre coûte que coûte la paternité de son œuvre mais aussi tracassé par les démons de sa vie privée passée. En effet, Morton n’a pas vraiment fait le deuil de son mariage et c’est avec nostalgie qu’il se remémore sa femme en train de savourer avec délectation la vue imprenable et inédite qu’elle découvrait depuis la fenêtre de la petite buanderie dans leur ancienne demeure commune, son jardin secret. La tension psychologique de l’œuvre est alimentée par des réminiscences de moments-clés, de rêves et aussi par le surgissement ponctuel d’une voix intérieure que Morton tente de combattre de toutes ses forces. Serait-elle complice de l’accusateur ? Discrète au début, celle-ci se fait de plus en plus pressante au fil de l’œuvre. Alors que dans un premier temps, King nous amène à suivre la trame du récit comme une enquête policière, peu banale cependant, dont Morton se plaît à imaginer les tenants et les aboutissants dans les moindres détails et à nous conforter dans ce schéma, il prend un malin plaisir, par l’insertion de bouleversants événements, à bousculer l’interprétation et la vision du lecteur. Ceux-ci sont amenés avec une grande minutie et on revit les scènes-clés antérieures sous une lumière dérangeante et inquiétante, doublée de l’impression de vivre une supercherie comparable à celle que vit Rainey. L’une des plus marquantes est la deuxième rencontre de Morton avec le mystérieux quadragénaire. En effet, au cours de celle-ci Morton croise une vieille connaissance, Tom, qui lui fait signe. Plus tard, ce dernier avouera qu’il est convaincu que Morton était seul ce jour-là. On est amené à se dire que celui-ci doit être victime d’hallucinations mais on est encore bien loin néanmoins d’imaginer la dimension des maux dont il est victime.
Même si l’écriture de Stephen King n’est pas toujours irréprochable, on ne peut qu’être admiratif devant une telle ingéniosité.

Bien sûr, cette œuvre nous plonge dans une perspective réflexive sur la création littéraire. En effet, Shooter, par le biais de son jeu pervers, va aller jusqu’à remettre en question ce que Morton croyait acquis, ce qui constituait les fondements de son œuvre. Ainsi, il (et le lecteur en parallèle) est amené à se demander quels sont les moyens pour un auteur de justifier la paternité de sa création ? Peut-on être sûr que celle-ci n’est pas le fruit d’un vol conscient ou inconscient d’une œuvre d’un comparse ? A plus forte raison, les idées appartiennent-ils à quelqu’un ou sont-elles une source commune de laquelle puisent tous les artistes ? Ces interrogations, qui pourraient paraître distantes pour le commun des mortels, deviennent vitales pour l’auteur ; elles régissent sa propre identité.
A travers ce procédé, Stephen King semble vouloir exorciser ses propres craintes (tout comme Misery paru à la même époque de sa vie). D’ailleurs, on peut voir de notables points communs entre Morton Rainey et lui-même. Tout d’abord, il est originaire du Maine comme lui. Il a à peu près le même âge. Sa premières œuvre In a Half-World of Terror a été publiée dans un magazines ( la nouvelle de Morton pour laquelle il est accusé de plagiat est justement paru dans un magazine deux ans avant la date à laquelle Shooter admet avoir publié sa propre nouvelle).Aussi, l’anecdote du manuscrit de la nouvelle de Shooter repêchée dans la poubelle par sa servante n’évoque-t-elle pas les circonstances de l’élaboration de Carrie quand sa femme retira son manuscrit bafoué de la poubelle, le lit et le pousse ensuite à poursuivre son œuvre.
On peut rester perplexe devant l’importance que jouera ce petit détail dans la vie de l’homme.

Même si on peut ne pas apprécier le style Stephen King et que toute son œuvre est de qualité fort inégale, force est de constater que ce petit chef-d’œuvre, qui mérite assurément d’être moins méconnu, est une preuve qu’il a de la suite dans les idées et qu’il sait captiver le lecteur avec maestria. Pour le coup, on pourrait dire : « chapeau bas (noir) » !

>Vue imprenable sur jardin secret est paru en France couplé avec Les Langoliers (que je n’ai pas lu) sous le titre Minuit 2 aux éditions Albin Michel(1991) dans une très bonne traduction de William Olivier DESMOND

vendredi 11 janvier 2008

L'expo qui rend fou...ah bon???



Naturellement, quand on me parle d’une expo qui rend fou, j’y cours. Bien que je n’avais pas besoin de celle-ci pour me sentir ainsi, je suis allé à Yverdon-les-bains par une journée brumeuse de ce début janvier. Question atmosphère me diriez-vous, j’étais déjà servi. Sur le trajet, cependant, je n’ai pas rencontré de fantômes, ni sur la route, ni au bord, ni sur le lac de Neuchâtel, ni à ses abords, ni à l’intérieur d’ailleurs. Pfff!! Pour l’occasion, de toutes façons, j’étais armé de mon laser à protons, poussiéreux je dois dire. Arrivé dans la modeste maison d’ailleurs, le musée consacré à la science fiction, à l'utopie et aux voyages extraordinaires, rien que ça (le seul en Europe disent-ils sur le site internet... et je veux bien les croire), je pénètre dans l’antre de la folie.
Le but de ma visite ? Une exposition consacrée à H.P.Lovecraft et surtout à son univers dérangé et dérangeant. En effet, celui-ci a rédigé entre 1919 et 1934 une série de notes, des bribes de pensées étranges et évocatrices, regroupées dans un recueil intitulé paradoxalement le Livre de Raison. Celles-ci étaient censées être réutilisées pour l'élaboration de plus grande ampleur. Elles allaient finalement ne jamais sortir de l'ombre de cet ouvrage énigmatique.

A l’occasion du 70e anniversaire de la mort de l’écrivain , le musée a lancé une invitation à cent artistes pour s’emparer de ce pseudo journal intime et réaliser des œuvres graphiques qui en explorent les profondeurs insondables.
Ainsi, on retrouve parmi la pléthore d'artistes de différents horizons: Caza, Daniel Ceni, Giger et bien d'autres. Les artistes ont employé une multitude de techniques artistiques pour parcourir l'énigmatique cosmogonie de Lovecraft. Tout ou presque y passe:peinture à huile,dessin au crayon gris, aquarelle, gravure, encre de chine, stylo, encre, crayon, carte à gratter, feutre, gouache, collages, aérographe(!!), techniques assistées par ordinateur.
Dans l'ensemble, les invités ont su créer des oeuvres insolites, personnelles, apportant chacune quelque chose à notre approche sans pour autant dénaturer le caractère malsain, tourmenté de l'écrivain et de ses textes.Soit dit en passant, j'ai trouvé le travail des artistes méconnus bien plus marquants que les autres.
Personnellement, c’est cette approche ouverte aux associations les plus variées qui m’a enthousiasmé. Une manière de donner vie à ces phrases inertes mais fascinantes, de s'imprégner de façon visuelle à cet univers étrange.

Parmi les bémols, on pourra remarquer que si certaines d'entre elles sont absolument géniales, elles sont tout de même d'une qualité fort inégale
et adaptées aux extraits avec plus ou moins de succès.
D'autre part, bien que le thème de l'expo se prête bien au désordre ambiant, on aurait peut-être aimer un peu plus de clarté dans l'orientation du visiteur. Le fait d'offrir à ce dernier l'occasion de découvrir deux films documentaires (L'Appel de Cthulhu et Le Cas Lovecraft) est une bonne idée. Toutefois les conditions pour le moins exigu de la salle de projection et les moyens archaïques mis en oeuvres ne sont pas à la hauteur.
Les fictions interactives, quant à elle, sont d'un intérêt plus qu'incertain.

Enfin, j'aurais tant aimé voir ce qu'aurait eu l'audace de créer à l'occasion des artistes venant du cinéma comme David Lynch ou Phil Mulloy pour ne citer qu'eux. Bien sûr, pour combler mes exigences les plus spéculatives, le coût de l'expo aurait sûrement rendu les responsables de cette heureuse initiative... complètement fous.



P.S.: finalement, c'est bien plutôt la rédaction de ce message qui, à force de bugs de toutes sortes, a bien failli me faire perdre la raison.

jeudi 10 janvier 2008

LA PARTITA ROMANESQUE de Alberto ONGARO


Après après avoir été complètement envoûté par le cultissime La Taverne du doge Loredan, je voulais découvrir plus amplement l’œuvre romanesque d’Alberto Ongaro. Hélas, bien que très prolifique dans ce domaine, le nombre de ses titres qui ont eu l’honneur d’une traduction dans la langue de Molière se comptent sans difficulté sur les doigts de la main. En attendant, la parution prochaine de son dernier titre, le Secret de Caspar Jacobi, annoncé pour avril prochain par les éditions Anarchasis, je me suis lancé à corps perdu dans la Partita, édité en Italie pour la première fois il y a plus de vingt ans(en 1985) et qui est le premier et seul roman de Ongaro, hormis la Taverne(et Une vie d'aventures qui s'apparente plus à un biographie romancée qu'à un roman pur)à avoir connu le bonheur de la traduction (il a même eu l’honneur d’une réédition en format poche!). Du net, je n'avais pu glaner que deux malheureux mots sur cette oeuvre qui se devaient de résumer son contenu: "roman fellinien". Ah si j'appris aussi au détour d'un blog que ce livre avait fait l'objet d'une piètre adaptation cinématographique(comme souvent) en 1988 par le réalisateur Carlo Vanzina. J'entrepris de me le procurer mais épuisé, introuvable, ce livre se drapait d'une aura mystérieuse. Heureusement, la bibliothèque de Lausanne disposait d'un précieux exemplaire abandonné dans son dépôt(message privé à l'aimable personnel de celle-ci: c'est moi le lourd qui vous demande à intervalles réguliers de sortir du dépôt des ouvrages que vous pensiez destinés à finir leurs jours dans ce lieu retiré où gisent les livres boudés par les lecteurs).

Le récit à la première personne est celui de Francesco Sacredo qui revient dans les terres familiales de Venise après avoir purgé une longue peine sur l’île de Corfou pour avoir témoigné d’une témérité… un peu trop virulente-dirons-nous- à l'encontre d'un soldat. Quand le navire qui le conduit est sur le point d’accoster sur la lagune, un mauvais présage se présente. Les différentes îles sont sur le point d’être emprisonnées par la glace, signe prématuré d'un étau qui va se refermer inévitablement sur notre personnageet qui va annoncer les mauvaises surprises à venir. En effet, rapidement, Francesco Sacredo comprend que l’ensemble de l’étendu patrimoine de son père, y compris celui dont il allait hériter, a été dilapidé aux jeux. Se rendant sur le théâtre de ces joutes endiablées qui ont lieu depuis près de trois mois, Francesco va apprendre que c’est une comtesse borgne du nom de Mathilde von Wallenstein qui a entraîné la ruine présente de sa famille et la sienne propre à venir. Dès lors que l'incroyable bénéficiaire du hasard croise le regard du beau Francesco, celle-ci décide de lancer un pari impromptu, un pavé dans la mare qui pourrait décider du sort de celui-ci. En effet, elle lui offre la possibilité au cours d’une partita de dés de se voir recrédité non seulement de son propre héritage mais aussi de sauver le riche patrimoine familial qui semblait s’être envolé. Seulement voilà, si le sort venait par contre à jouer en sa défaveur, il se verrait condamné à vivre aux côtés de celle-ci jusqu’à la fin de ses jours. Francesco accepte le pari. Alors que son destin semble basculer vers cette abominable voie, il entreprend de déjouer le sort qui l’attend en tentant une escapade désespérée.

A ce moment, il est bien loin d’imaginer que celle-ci débouchera sur une course-poursuite ininterrompue de plusieurs mois à travers l'Europe pendant laquelle les coups de théâtre et autres rebondissements seront légion. D’ailleurs, Ongaro témoigne d’une force et d’un sens narratifs comparables à l’art de la scène. Par exemple, au cours de la fameuse partita décisive, on perçoit la tension qui émane de la scène, les visages masqués amassés autour de la table de jeu, celui à moitié bandé de la comtesse telle une corsaire qui se joue de ses adversaires, le changement d’état du père de Francesco au fil du jeu et la peur de ce dernier. On voit et on entend les dés tournoyer sur le tapis comme une toupie animée d’une volonté propre et qui s’amuse de la fébrilité qu’elle fait naître;on devine les murmures qui s’échappent des visages faussement impassibles des spectateurs , témoins avides d’une scène grisante. Pour éviter la routine des romans d’aventure classiques à la Stevenson, Ongaro se plaît à imaginer des situations rocambolesques et jouissives pour le plus grand plaisir des lecteurs. Ainsi, pour se venger de son père, Francesco aura l’audace d''imaginer un stratagème incroyable. Il va demander à un couturier,atteint d’une maladie sexuellement transmissible, proche d'un barbier de confiance, de coucher avec l’une des maîtresses attitrées du père de Francesco pour que le mal se diffuse jusqu’à lui. De façon inespérée, celui-ci parviendra même jusqu’à la comtesse qui accueille désormais le chef de famille ruiné. Les personnages que l’on rencontre sont charismatiques et on ne peut plus truculents. On se régale notamment du tableau savoureux que Francesco nous brosse des frères Podesta qui sont en quelque sorte des chasseurs de prime engagés par la comtesse pour retrouver sa tête mise à prix. Deux hommes qui se ressemblent comme deux goûtes d’eau, à ceci près que l’un d’entre eux porte un signe reconnaissable entre tous, la marque définitive d’une gifle monumentale reçue par une ex-conquête. Cependant, Francesco ne verra jamais que de dos ses deux assaillants et sera malgré tout harcelé par leur présence tout au long du récit. Il sait qu’il a le mauvais rôle, celui de la proie qui est condamnée à s’enfuir à l’aveuglette dans une partie de cache-cache interminable, d’attendre fébrilement les courriers des rares personnes sur lesquelles il peut compter(si toutefois il peut encore avoir confiance en quelqu’un !) et de tenter de glaner de maigres informations qui peuvent filtrer dans les auberges. Pour se dissimuler, il changera de nom mais le passé reviendra au galop.
Pour exorciser ces fantômes qui le hantent, ce dernier sera contraint d’imaginer les différentes tournures du scénario de la chasse dont il est la victime potentielle, de rendre concrets les trames imaginaires. A force de tenter de combler les vides de ses aventures, la paranoïa et aussi la schizophrénie prendront le pas, créant au lecteur l'impression d'être devant un personnage à la fois acteur et narrateur. Agacé de risquer de se tromper lourdement et surtout de subir son destin, il se plaira à envisager le retournement de situation qu’il souhaiterait donner à cette partie, à savoir se retrouver le chasseur et non plus le traqué. Pour cela, il inventera un subterfuge dont il a le secret. Il contraindra un vieux prince à engager les redoutables gardes du corps de sa femme(qui a à peine quatre ans!) dans la traque de ses éternels sicaires en lui faisant croire qu'ils fomentent l'assassinat de lui et sa femme sous l'égide de ses perfides rejetons.
Malheureusement, son sort semble le mener vers une impasse. Il comprend que la partie qu’il croyait soldée à jamais s'est irrémédiablement immiscée au-delà ; les réminiscences de cette funeste nuit, de plus en plus pesantes seront là pour lui rappeler. Il ira jusqu’à se demander si finalement la comtesse ne lui a pas joué un tour, ne s’est pas tout bonnement amusée de lui en lui donnant l’illusion de le tourmenter à distance. Ainsi, le discours de la comtesse s'inscrivant en filigrame:
"Le crédit et le débit sont les deux faces de la même monnaie(...)Ils sont comme un homme et une femme qui ne parviennent pas à se déprendre l'un de l'autre, comme le jour et la nuit,ou, si vous préférez, la vie et la mort. Il ne vous sera pas facile de vous libérer de moi"

Non seulement, Ongaro fait preuve d’une grande virtuosité narrative en construisant un récit à la première personne engagé,dans lequel on ressent véritablement les désirs, les peurs et les démons qui peuplent notre personnage. Il allie aussi à ces élucubrations un grand raffinement dans le langage. On retrouve dans celui-ci le charme du XVIIIe. Entre autres, il réussit le tour de force de rendre raffinée une illusion coquine là où bon nombre de ses compères auraient sombré dans le vulgaire ou de rendre absolument délectable la moindre des anecdotes évoquées qui auraient pu paraître insignifiantes livrées à d'autres mains.

Bien sûr, quand on est rentré dans l’univers de cet auteur merveilleux par la grande porte de La Taverne du doge Loredan, on peut rester quelque peu sur sa faim devant la répétition relative du schéma narratif qui se présente après la mise en bouche plus que prometteuse. On est loin également des mises en abîme fascinantes de l'illustre ouvrage. Cependant, Ongaro esquive ce défaut en rendant palpitant et surprenant les événements grâce à une formidable éloquence de tous les instants. A ce titre, Ongaro, tout comme pour la Taverne, se refuse à conclure son roman de façon ferme et définitive. Cette façon de procéder a le grand mérite de laisser libre court à l’imagination vagabondante du lecteur selon ses propres fantaisies. Pour qui aime les romans qui ont le goût et le charme d’antan associée à une inventivité débridée, La Partita est un livre insolent et immanquable dont il se réjouira de découvrir les aventures trépidantes de Francesco avec un grand A.