jeudi 22 novembre 2007

Une anémone dans un parking souterrain-Un mojito à la place d'un café-l'impossible calcul de Manor-petit ange.. ou L'ECRITURE SELON HARUKI MURAKAMI




1-Une anémone dans un parking souterrain
2-Un mojito à la place d'un café
3-l'impossible calcul de Manor

4-petit ange

Voilà ce que j'aurais pu écrire pour résumer ma soirée d'hier. C'est sûr, pour vous, lecteur anonyme, ces quelques lignes seront aussi insignifiantes que le langage hiéroglyphique. Cependant, pour moi, celles-ci sont des points de repère, un condensé évocateur qui me permettent de restituer le fil de ma soirée.

"Voici ce que j'ai noté:

1.Chute de l'Empire romain
2.Révolte indienne de 1881
3.Invasion de la Pologne par Hitler

Comme ça, je suis sûr de me rappeler avec précision ce qui s'est passé aujourd'hui, même dans une semaine. Le respect scrupuleux de ce procédé me permet de tenir mon journal depuis vingt-deux ans, sans manquer une seule journée. Chaque acte significatif a son procédé particulier."*

A la fin de l'une de ses nouvelles, Haruki Murakami a écrit ces lignes.
Pour moi, elles reflètent bien la démarche créatrice de cet écrivain hors normes. Un artiste qui va chercher la part incongrue, mystérieuse enfouie dans la banalité du quotidien. Un être qui n'hésite pas à bousculer nos idées reçues pour transfigurer l'image pâle de nos vies éphémères. Car chaque personnage de Murakami pourrait se rencontrer aussi bien au sein d'une station de métro de Tokyo, dans un quartier abandonné de sa périphérie tentaculaire- que Murakami se plaît à évoquer - qu' à deux pas de chez nous. D'ailleurs, la proximité que l'on éprouve à l'égard de son écriture est intimement liée à l'empathie que l'on ressent à l'égard de ses personnages. Pour ma part, je dois dire que c'est sans mal que je pourrais me reconnaître, d'une façon ou d'une autre, en chacun d'entre eux. Le plus souvent, on a affaire à des hommes avoisinant la trentaine, déconcertés par la tournure des évènements mais qui se plaisent à évoluer dans cet univers incongru, et à tourner en dérision leur situation de façon pour le moins savoureuse. Des voraces de littérature, passionnés de musique(classique et de jazz avant tout) ou de cinéma d'auteur, des hommes sensibles, émouvants, ayant un penchant prononcé pour la bière et les histoires d'une nuit(pour ces deux derniers, je m'en éloigne, je dois dire)

Murakami est un auteur dont le talent de narrateur est troublant. C'est comme s'il nous guidait en nous prenant par la main pour nous accoutumer progressivement aux images, aux sons, aux odeurs, aux personnages, aux mystères de ces contrées urbaines ou sauvages. Je dois dire que jamais des éléments méconnus ne m'avaient paru aussi évocateurs. Aucun doute, Murakami est un magicien, certes, mais un magicien qui a les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. Grâce à un talent hors pair, il nous apprivoise de fil en aiguille de mille et une façons aussi bien en distillant un vieux morceau de jazz, en décrivant le crissement de la neige sous les pas, ou bien en nous faisant percevoir les variations climatiques en montagne, ou la caresse d'une bise printanière.
Le talent indicible de Murakami : savoir nous transporter grâce à des descriptions simples, parsemées de détails incongrus. Les impressions diffuses et les sentiments s’immiscent chez le lecteur de la plus subtile des façons. Pourtant, il est bien loin d’abuser d’artifices linguistiques. Non, il se contente d’animer (au sens étymologique du terme) son monde et les personnages qui le peuplent. Malgré l’étrangeté des situations auxquels ils font face, ceux-ci se montrent étonnamment circonspects et philosophiques. Ses personnages sont ancrés dans une société en apparence banale et Murakami se plaît à nous imprégner de la routine de leur vie par moult détails. Peu à peu, par un habile jeu de contrastes saisissants, ils vont flirter avec un univers rocambolesque et insaisissable. Nous naviguons ici tout près de la frontière impalpable de mondes parallèles. Ainsi, sa plus grande audace est de déconnecter les rouages rationnels de notre existence sans pour autant que l’on perde tous nos repères. Murakami est un illusionniste qui déjoue notre perception du monde pour la troubler insensiblement. Que ce soit par une pluie de poissons (dans le récent Kafka sur le rivage), par l’extinction de voix d’une jeune fille grassouillette (dans le merveilleux La Fin des Temps) ou l’apparition d’un monstre vert indestructible (une référence surprenante à la nouvelle de Gerard de Nerval dans le recueil L’Eléphant S’Evapore). La sienne est largement empreinte de l’état d’esprit shintoïste. Au niveau littéraire, les influences sont multiples et évoquées de façon anodine à travers ses personnages. Citons principalement Kafka, les modernes russes et tout un pan de la littérature fantastique. Japonais dans l'âme, culturellement attaché à l'Europe, Murakami est avant tout un auteur universel qui se démarque de tous les écrivains contemporains par un style d’une fluidité phénoménale. C’est un artiste extraordinaire dont peut se délecter des pages infiniment encore après sa lecture.
Si par hasard, un sentiment de mélancolie vaporeuse vous étreint à la suite de l’une d’entre elles, nul doute que vous venez de subir le charme de l’une de ses aventures intemporelles, naviguant entre songe et réalité, dont il a le secret.

Haruki MURAKAMI est un auteur très populaire au japon. Cependant, il n’a bénéficié que d’une reconnaissance tardive en Occident. C’est pour cette raison que la date de parution de ses ouvrages dans son pays d’origine et dans la langue de Molière diffère nettement. Depuis quelques années, bon nombre de ses ouvrages sont disponibles en format « poche ». Signalons le travail admirable de sa traductrice principale , Corinne ATLAN, qui a su préserver toute la finesse de son travail. Quand on sait la difficulté que requiert la tâche aussi délicate de transcrire ce texte depuis une langue aussi éloignée que la notre, on ne peut que la féliciter.

Dernière petite précision non négligeable. Pour éviter de gâcher les fourmillantes surprises que recèlent ses aventures, je vous recommande vivement de ne pas vous jeter sur la 4e de couverture (trop explicite) de ses livres avant d’en avoir tiré la substantifique moelle.

Œuvres sélectives :




-L’Eléphant s’Evapore (Seuil, 1998) , porte d’entrée idéale et condensé de son art

-La Fin des Temps (1985/92, Seuil), merveilleuse fantaisie oscillant entre deux mondes, récompensée par le prix Tanizaki.

-Les Amants du Spoutnik (1999/2003, Belfond), histoire extrêmement poétique.

-Pour aller plus loin sur le net.

*extrait de la nouvelle La chute de l'Empire Romain...publié dans le recueil l'Elephant s'Evapore

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Comment avez-vous rencontré une fleur telle l anémone au fond d'un parking ? J'avoue que vous titillez ma curiosité.
Peut-être que vous m'éclairerez.
En attendant, merci pour votre blog qui fait plaisir à lire et donne de nouvelles lectures à venir.

edwood a dit…

Bonjour,
Ah il n'y a pas de lieux attitrés pour les anémones. Pour les cueillir, il suffit d'avoir le coeur ouvert...

Ravi de voir que mon blog vous donne envie de découvrir de nouveaux livres.D'ailleurs, quels sont les oeuvres qui vous tentent le plus parmi celles qui sont évoquées ici? J'espère que cet attrait durera.

Au plaisir de vous retrouver sur cet espace ou ailleurs.

Anonyme a dit…

Il faudra que vous me donniez votre mode d'emploi pour ouvrir son coeur aux anémones des parking, j'avoue ne jamais en avoir découverte. Il me serait plaisant de découvrir votre découverte...
J'avoue que Haruki Murakami m'était inconnu et sur votre conseil, je vais me voir obligée de m'en fournir au moins un !

edwood a dit…

Vous verrez, vous ne serez pas déçue. L'éléphant s'évapore est une excellente porte d'entrée car ce recueil contient tous les ingrédients qui font le charme de cet auteur.